Marina, Sophie, Johann,….et tous les autres
D'abord merci à Marina pour l'attention portée à chacun d'entre nous, pour les mots de réconfort qu'elle sait nous apporter, pour nous aider à tenir bon, à demeurer sur le "bon chemin", malgré la difficulté. Elle met à notre service son talent d'écriture : trouver les mots justes, les exprimer avec douceur et poésie et toujours avec une grande sincérité. Pour nous aider à progresser, et avec ce qu'il faut de retenue, elle n'hésite pas à nous faire partager ses sentiments les plus profonds et intimes.
Si je sais que, dans notre communauté de personnes endeuillées, chacun fait preuve de bienveillance et de solidarité, recherchant ou s'efforçant d'apporter une entraide, je veux cependant conserver un "jardin secret" et m'exprimer avec pudeur, ne serait-ce que par égard pour celles et ceux dont la douleur est encore plus intense et inconcevable que la mienne : celles et ceux que la vie a éprouvé beaucoup trop tôt par la perte d'un conjoint alors que la vie de couple vient à peine de commencer, par la perte d'un enfant,….
Mais le mensonge, même s'il trouve sa source dans l'Amour que l'on porte à l'autre, ne saurait être une "bonne solution", ni pour la personne qui endure des souffrances physiques et morales, ni pour ses proches qui vont la pleurer.
Ma Chérie appartenait, selon l'expression de P. Sansot, aux "gens de peu", même si elle avait fait de solides études. Discrète, "prenant beaucoup sur elle", souvent effacée, elle n'exprimait guère ses sentiments. Ainsi, bien qu'elle ait été confrontée à des deuils de très proches dans sa famille, nous n'avions jamais su parler ensemble de tout ce qui touche à la fin de vie.
Aussi, lorsque j'ai été brutalement informé du diagnostic fatal de la maladie (qui n'a pas été exprimé formellement à ma Chérie…, mais ne l'a-t-elle pas deviné à un certain moment!), je n'ai trouvé d'autre solution que de m'enfermer dans le mensonge, de faire "comme si" une guérison était envisageable; d'autant qu'il me semblait alors que c'était sa conviction, elle qui avait une véritable vénération pour le monde médical (ses plus proches amies me l'ont confirmé).
Je n'ai pas su ensuite sortir de ce mensonge, lorsque je voyais pourtant ses souffrances s'accroître et devenir intolérables, ses forces l'abandonner, son corps s'abîmer,…. jusqu'à ses derniers instants de vie. Comment en effet trouver alors la sérénité nécessaire, les mots justes,…. si on n'y est pas aidé?
Ainsi, nous nous sommes quittés, sans que j'aie pu lui redire qu'elle était la Femme de ma vie, véritablement ma moitié, sans qu'elle ait pu me confier ses dernières volontés.
C'est là que réside aujourd'hui la douleur la plus forte, la plus profonde. Et cette douleur s'est maintenant ancrée en moi, se transformant parfois en révolte, depuis que diverses lectures (des livres de M. de Hennezel, E. Kübler-Ross, MF. Bacqué, P. Van Eersel, des articles de M. Salamagne,…) m'ont fait découvrir ce que sont (ou devraient être) les soins palliatifs.
J'ai ainsi pris conscience que dans ce domaine, et à quelques exceptions près, notre pays a un retard d'une vingtaine d'années par rapport à d'autres (Grande-Bretagne, Québec,…) dans la prise en charge de la douleur physique et morale des personnes que la médecine ne sait plus guérir.
Or, de tout cela, ma Chérie, n'a guère pu bénéficier, et a souffert "inutilement", physiquement et moralement.
Peut-être par manque de moyens eu égard au grand nombre de patients à prendre en charge, ou parce qu'ils sont brutalement confrontés à la mort à court ou moyen terme de leurs patients, bon nombre de soignants (à l'exception notable des infirmières) soignent le corps, sans guère se préoccuper de la personne. Dans ce que ma Chérie a enduré, de ce que j'ai vécu à ses côtés, j'ai trouvé trop "d'inhumanité",…. alors qu'il pourrait en être tout autrement.
Car les soins palliatifs visent à prendre en charge la personne en fin de vie dans sa globalité, en commençant par la soulager de ses douleurs physiques.
Dans l'un de ses ouvrages, P. Van Eersel cite un extrait du "Manuel des soins palliatifs" (édité par la Fondation de France), évoquant la pionnière en Europe, Cecily Saunders, des soins palliatifs.
"En continuant à travailler auprès des mourants, C. Saunders fit le constat qu'il était possible de vivre intensément lorsque les jours sont comptés. Lorsque le patient est soulagé de ses douleurs, donc libre d'être lui-même, il arrive que les derniers jours soient humainement très riches. Ils peuvent être un temps de réconciliation envers soi-même, envers les autres et la vie que l'on a vécue, réconciliation qui rend la mort paisible pour celui qui s'en va, et le deuil supportable pour les survivants".
P. Van Eersel ajoute : "A partir du moment où l'on parvient à soulager les douleurs physiques du grand malade, il devient possible de transformer cette phase de destruction, l'agonie, en la plus inattendue des oasis : une source d'humanité".
Ainsi, il existe une autre solution plus humaine, plus respectueuse du mourant et de ses proches, que le "mensonge par amour".
Si nous n'avons pu nous dire "au revoir", je veux cependant retenir que ma Chérie m'a laissé le plus beau des cadeaux : nos enfants et petits-enfants, aujourd'hui plus précieux que jamais.
Très cordialement à chacun(e) d'entre vous.