Bonsoir, Kgibran,
Fan du poète sans doute ...
Bienvenue parmi nous.
L' extrême solitude du deuil ... un grand sujet ...
Cette solitude engouffre les personnes comme toi, comme moi, qui ont perdu un être fondamental pour leur équilibre affectif, pour leur confiance en la Vie, pour se mouvoir dans un confortable rapport au temps et aux autres ...
Le deuil, la mort, efface tous ces repères, nous malmène ...
Et la vie devient difficile avec nos proches, et avec les gens "normaux" qu'on croise au quotidien ... décalages ... susceptibilité ...
Elle devient difficile et nous avons difficile par rapport à nous-mêmes !
Tu demandes "comment le vivez-vous", et effectivement chacun vit ça de façon différente selon sa sensibilité, sa construction psychique intrinsèque, les expériences acquises, son contexte actuel ...
Alors je ne vais te répondre que de moi à toi ... même si j'aime bien employer le "nous", parce qu'il est chaleureux, pas pour amalgamer.
Tu as perdu ta jeune soeur de 25 ans, je suis désolée pour cette peine que tu vis.
Moi, il y a trois ans, j'ai appris qu'un de mes cinq neveux s'était suicidé, à 14 ans.
L'annonce de sa mort fut une décharge électrique qui a déconstruit tout en moi.
Dans les premiers temps, il me semblait que tous ceux qui aimaient Kalahan s'étaient rassemblés dans la souffrance ... et peu à peu, j'ai compris qu'on devait tous vivre cela au plus profond de nous, dans l'incommunicable.
Ma maman, qui est "croyante", est bien éloignée de moi qui ne suis qu'"espérante", par exemple. Nous nous adorons mais ce sont deux façons de penser au petit défunt très différentes, puisque le croyant s'appuie sur une certitude, alors que non-croyant doit créer une espérance faite sur-mesure pour s'accrocher.
Mais ça, c'est encore que la partie "pensante"... la partie "souffrante", c'est encore plus complexe à gérer.
Je ne freine mes émotions qu'un minimum quelquefois bien indispensable, j'ai besoin de ressentir pleinement, je m'exprime, consciente que je ne suis pas toujours comprise, faut que ça sorte.
L'an passé, j'ai vécu une crise de couple avec mon conjoint, car il voulait "me voir aller mieux", un truc dans le genre, on a dû consulter en thérapie de couple pour arriver à se parler, alors qu'on se connaît depuis 20 ans, c'est te dire jusqu'où ça va cette solitude, cette frustration, cette exigence de l'impossible ...
Les conversations, aussi subtiles et ouvertes soient-elles, ne nous permettent plus la facilité de penser que nous sommes compris,
peut-être parce que nous savons, face à la tragédie de la mort, que nous ne savons très peu sur notre propre personne.
Il nous faut sortir des sentiers battus pour lutter contre nos désespoirs et nos colères sous leurs formes diverses et variées.
Il nous faut trouver au jour le jour, parfois d'une heure à l'autre, les moyens de "continuer"notre vie en pointillés ...
Voilà, amie de Gibran,
je t'ai écrit spontanément en espérant que ... de ta solitude, tu te sentes encouragée quand même ...
Bien solidairement, Martine.