Bonjour,
J'ai perdu mon mari alors que j'avais 32 ans, j'ai perdu ma mère il y a 17 ans. L'effondrement, bien sûr...
Mais pas aussi cruel ni aussi dévastateur que la perte de ma sœur, qui vient de partir, ce 7 octobre. Ma sœur, ma chérie, mon âme sœur, mon autre, mon accompagnante de toute ma vie, de chacun de temps de ma vie. Je suis dévastée, ravagée par la douleur, le soir, n'importe quand, je hurle comme une bête, je l'appelle ...
Excusez-moi, j'ai un tel besoin de parler, de tout lâcher, car personne ne peut entendre (c'est ce que je crois). Même pas mon père, car il n'avait pas le même lien que moi avec elle, évidemment. Ni mon frère, car ils n'étaient pas très proches, lui et elle. Je ne veux pas imposer ce carcan de douleur à mon mari, il est là, il m'aide et me soutient autant qu'il le peut. Ma nièce, ah, ma nièce chérie, la fille de ma sœur, ah oui, elle, elle est sa continuité, j'ai tout le temps envie de l'appeler, de parler avec elle, d'être près d'elle. Mais je ne dois pas l'accabler, au contraire, je dois l'aider à traverser cette effroyable épreuve. J'en ai fait la promesse à ma sœur.
Mes enfants, ma fille, mon fils : je ne veux pas les accabler, eux non plus, ils ont leur vie à vivre, ils ont déjà connu le deuil en perdant leur père.
C'était en juillet 2009. Elle m'appelle, comme chaque jour, depuis toujours. Elle sort de chez le médecin. Elle avait une toux persistante
depuis plusieurs mois, des maux de tête épouvantables. Verdict :une sale image au niveau du poumon. Je suis la première qu'elle appelle. Tout s'effondre, je m'effondre littéralement, je m'écroule dans les toilettes au boulot, je ne respire plus.
Les examens qui ont suivi ont confirmé le diagnostic : cancer.
Jusqu'en décembre 2010, il n'est pas un jour où nous ne sommes pas parlé : je l'ai appelée chaque jour en sortant du boulot. J'ai tout suivi de sa maladie. Je suis allée auprès d'elle aussi souvent que j'ai pu (nous sommes à 500 kilomètres l'une de l'autre). Un jour, elle m'a rejetée violemment : j'étais la dernière des dernières, la plus égoïste de la terre, elle s'est mise à me haïr. Elle était d'une telle violence avec moi que j'ai du prendre la décision de couper tout contact avec elle pour me protéger. C'était comme si elle voulait me faire mourir pour pouvoir vivre. Presque deux années de silence entre nous. Mon père me donnait des nouvelles chaque fois que je l'appelais. Pendant ces deux années, elle m'a envoyé quelques lettres d'une violence inouïe, violente comme sa maladie, comme sa terreur. J'ai fait une tentative pour faire la paix, mais elle n'était pas prête, moi, si, je n'avais qu'une envie, la prendre dans mes bras et réussir à faire partir cette terrible haine en elle.
Noël 2012 : elle est hospitalisée en urgence, aplasie. Mon père passe le réveillon et le jour de Noël auprès d'elle, dans une chambre stérile, elle ne parle pas. Je demande à mon père de lui remettre une lettre dans laquelle j'ai mis tout mon immense amour pour elle. Elle n'y répond pas. En mars de cette année 2013, enfin, elle répond à mon autre lettre. Elle me dit : "ma porte et mon cœur te sont grands ouverts. Je t'attends". Ce fut un état de grâce absolu. Nous avions réussi à dépasser, à nettoyer tout ce qui polluait notre relation. Je l'ai acceptée dans tout ce qu'elle était, elle avait fait un chemin incroyable : plus de haine, plus de colère, elle autrefois si blessante avait réussi à nettoyer, à rendre tout lumineux en elle. Nous avons vécu ces 7 mois dans un état de bonheur total, notre relation a été d'une intensité, d'une osmose extraordinaires. Nous nous disions souvent : "maintenant, je comprends ce que c'est qu'être sœurs".
Je l'ai accompagnée jusqu'à son dernier jour. Je suis restée auprès d'elle, à l'hôpital, pendant ses deux dernières semaines. J'ai laissé ses deux enfants, que ma fille accompagnait, recueillir son dernier souffle. Elle m'a dit des mots merveilleux pendant ces deux semaines. Ils sont en moi comme un trésor.
Je relis ses messages, ses textos, j'écoute ses messages vocaux, conservés précieusement dans mon téléphone, je regarde les photos d'elle que j'ai étalé partout dans ma chambre, dans mon bureau, je porte la montre et le bracelet qu'elle aimait. Tout ça, c'est "peanuts", ce n'est juste pas réel, pas vrai, elle n'est pas partie, hein, j'ai fait un très très sale cauchemar, je n'ai pas suivi son cercueil jusqu'au tombeau, hein ?
J'ai beaucoup parlé (en écrivant), j'espère que ceux, celles qui me liront me pardonneront ce besoin irrépressible de laisser s'écouler mon incommensurable chagrin.
Je veux bien vous écouter, vous lire, si vous le voulez.