Je passe; je lis, souvent je ne dis rien.
Raconter ce qui s'est passer n'est pas pour maintenant.
Je voudrais revenir sur un mot : culpabilité. Beaucoup de gens, là où je vis, lorsqu'ils ont appris, ont employé ce mot parmi les premiers sinon le premier. Je n'ai éprouvé à aucun moment de culpabilité. Nous étions là, ses trois soeurs, nous nous sommes toujours parlé, dit notre amour les uns pour les autres, expliqué nos vies, nos difficultés, nos souffrances, nos joies. Chacun d'entre nous a mené sa barque tel qu'il l'a pu, différemment, lui dans une recherche éperdue de l'amour, à commencer par celui de sa mère. Plus fragile, nous le savions mais il tenait debout.
C'est sa décision, personne n'y aurait rien changé. Oui des indices mais comment les entendre jusqu'à les croire et lui dire "tu ne te fais pas cela, tu ne nous fais pas cela". Il a dit "tout est prêt pour le jour où je déciderai que cela suffit". "Arrête ... ne dis pas çà ... nous sommes là". Et c'était beaucoup plus proche, imminent, décidé que ce que nous aurions pu imaginer si jamais on peut imaginer quelque chose d'aussi terrible.
Non, pas de culpabilité. Un chagrin qui me colle aux semelles, à ma vie au quotidien, à mon réveil, lorsque je m'endors, sans cesse présent et qui me ravine. A tout jamais changée jusque dans mes os, mon âme, mon regard sur les autres, la nature, le lien social, mon visage. Plus jamais de paix, de grandes difficultés à être heureuse lorsque je l'étais avant. L'aurait-il fait s'il avait su l'affreux chagrin et ses conséquences pour tous ceux qui l'aimaient, ses soeurs, ses deux filles ? Je crois que c'était inconcevable d'y penser pour lui. Au-delà des autres, plongé. dans une souffrance insoutenable dont les autres s'absentent.
Le chagrin, la place des uns et des autres au sein de la famille qui vacille puis s'écroule. Je ne suis plus l'aînée, mes soeurs ne sont plus "petites", nous sommes trois soeurs dans un jardin saturé de couleurs, de lumières, éblouies, aveugles, boiteuses, béquille l'un des autres.
Perte d'équilibre. "J'ai perdu l'équilibre" dit l'une de mes soeurs qui a été sujette a de terribles vertiges la clouant au sol, terrorisée. Syndrome post-traumatique. J'ai entendu des semaines durant une porte en fer claquer violemment et aussi des journalistes des JT annoncer les nouvelles dans un brouhaha dont aucun mot n'était compréhensible. J'ai su tout de suite que c'était des bouffées délirantes, des hallucinations auditives. Alors décrypter. La porte qui claque est celle en fer de la cave de mon enfance. Mon frère la claque et s'absente pour toujours. Les JT annonçant les nouvelles, c'est LA nouvelle : "c'est Pascal, il est mort". Mon hurlement d'animal. Ce pieu planté dans le coeur et l'atroce douleur. Les symptômes se sont espacés, très présent lors d'un voyage en Asie en janvier/février 2012, devenant de plus en plus rares à mon retour en France. La porte claque encore de temps en temps.
Un blanc total. On dit "j'ai un blanc". Oui c'est blanc, aucun souvenir. On fouille sa mémoire et rien, même pas un son, une odeur, une matière, rien. Cela m'est arrivée une fois et ne s'est pas reproduit.
Je ne suis pas croyante, je n'ai pas de foi sinon dans ce que nous avons à faire les uns pour les autres au cours de cette vie terrestre. J'ai toujours pensé qu'il n'y avait rien après la mort. C'est désespéré et désespérant mais c'est aussi une qualité et une philosophie de la vie.
Pourtant Pascal vient me voir, me fait signe. Lors de rêves où il est de plus en plus "éthéré", incolore, tourné vers un ailleurs même s'il me parle, est à mes côtés dans ces rêves . Il s'éloigne, nous quitte peut-être. Mes soeurs font les mêmes rêves. d'autres signes dont je parlerai.
3h du matin, il faut que je dorme. Antidépresseurs, la moitié d'un somnifère, un anxiolytique. Je refuse tout médicament me transformant en légume, me laissant inerte sous ma couette. Si un jour, je suis submergée, je me ferai hospitaliser, je suis allée au CMP et j'ai dit, je peux y aller n'importe quand, c'est ma barrière de sécurité.
Merci Angelik