Mardi 17 décembre 2013, le cauchemar a commencé, mon univers s’est écroulé. Depuis ça ne fait qu’empirer.
Un peu plus tôt dans la soirée, j’avais eu maman au bout du fil et le couperet était tombé sans crier gare : il n’y avait plus rien à faire pour toi, tu étais condamnée. J’ai eu l’impression d’être aspirée dans une autre dimension. Je n’ai rien compris. J’ai crié à maman mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible...
Le matin, maman était apaisée, tu avais passé une bonne nuit et les nouvelles étaient positives.
A 14h00, rien n’allait plus, tu ne voyais plus rien et on t’avait amenée d’urgence faire un scanner. Maman avait très peur. L’angoisse a commencé à me torturer.
Maman devait me rappeler une heure plus tard pour me donner les résultats. J’ai attendu, attendu mais le téléphone est resté muet. J’étais paralysée par l’angoisse mais au bout d’une heure et demie, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai appelé. Pas de réponse. J’ai essayé de me calmer en me disant que de toute façon dans les hôpitaux, les horaires n’étaient jamais respectés… ça n’a pas marché alors je me suis mise à tourner comme un lion en cage et toutes les 5 minutes, toutes les minutes, toutes les 30 secondes, j’ai téléphoné mais rien, rien, rien de rien. J’en ai tellement voulu à maman de me laisser dans l’ignorance. J’étais tellement loin d’imaginer l’horreur de ce qu’elle allait m’annoncer. Tu avais eu un ACV, toutes les cellules de ton corps s’étaient affolées, ton cancer se généralisait, les médecins avaient décidé d’arrêter tous les traitements, tu ne le savais pas mais tu étais sur le point de mourir.
Quand j’ai posé le téléphone, j’ai crié, j’ai pleuré, j’ai donné des coups de poings et de pieds sur tout ce qui se présentait devant moi, j’ai maudit le monde entier, la vie, papa, maman, moi. Je n’étais plus qu’une boule de haine et de désespoir. Ma foi qui était déjà branlante a pris définitivement fin ce jour-là.
Je n’ai pas dormi de la nuit, je ne croyais plus en Dieu mais il me restait les forces de l’univers alors je les invoquées pour que le lendemain, la mort se soit éloignée de toi. Mais, je ne suis pas shaman. Ça n’a rien donné.
Mercredi matin, ton unique ami, Patrick, est venu me chercher pour que nous te rendions visite. Deux heures et demie de route qui m’ont paru interminables et pourtant j’appréhendais tellement de te revoir dans de pareilles circonstances. En deux mois, je ne t’avais vue que 4 ou 5 fois et encore furtivement et toujours en présence de papa. Depuis que ta maladie s’était déclarée, le 27 août 2013, il n’avait eu de cesse de te pourrir la vie. En temps normal, nous avions l’impression qu’il te visait moins que nous avec ses sarcasmes et ses réflexions désobligeantes et quand c’était le cas, tu savais le remettre en place et le contrer avec une intelligence et une finesse que je t’enviais. Là, on aurait dit qu’il concentrait tout son venin sur toi. Tu ne t’es pas laissé faire et maman et moi faisions bloc pour te protéger mais à chaque fois il revenait à l’attaque de plus belle et à chaque fois tu perdais un peu plus de tes forces morales et physiques. Lui qui, en détournant nos propos, en entretenant des malentendus qu’il avait lui-même crées, en évitant que la communication circule... avait réussi à nous enfermer chacune dans un rôle qui servait ses intérêts et à nous tenir éloignées les unes des autres se sentait menacé par notre solidarité. Il perdait son emprise sur nous et ça ne pouvait pas durer, il fallait briser le trio.
En buvant le week-end du 19 octobre, je lui ai offert l’occasion en or. Jamais je ne me le pardonnerai, Vanessa et toute ma vie je porterai ce lourd fardeau. Le lundi 21 octobre, il a profité de ton premier rendez-vous chez l’oncologue pour venir à mon étage, forcer ma porte et me faire dévaler les escaliers en essayant de m’étrangler. Il n’a jamais aimé les gens qui buvaient et pourtant, il a entretenu avec délice ce problème chez moi. Pointer du doigt l’ivrogne que j’étais et la tenir responsable de tout ce qui n’allait pas était le meilleur moyen pour lui de nous faire oublier ses propres turpitudes, d’asseoir son autorité et de me discréditer auprès de maman et toi. Le soir quand vous êtes rentrées, il a profité de votre fatigue pour vous dire que j’avais essayé de le tuer et vous a trainées chez le docteur pour faire constater des griffures que je lui aurais faites sur le bras. Elles étaient en fait dues à ton fidèle Vassago, ton rottweiler adoré qui m’avait défendue et l’avait retenu avec ses pattes avant quand il avait voulu me faire tomber dans l’escalier.
Je ne vous avais pas vues de la soirée et le lendemain, sans avoir pu dire un mot, je me suis retrouvée dehors. Monsieur jouait les fanfarons devant les Policiers qu’il avait appelés et leur disait que finalement il ne porterait pas plainte puisque je partais sans difficultés. Quand je me suis retournée pour montrer les marques de strangulation que j’avais au cou et que je lui ai dit : « c’est vrai toi tu n’as rien à te reprocher », il m’a lancée devant tout le monde que je n’étais qu’une soiffarde qui s’était auto mutilée. A ce moment-là maman a compris la manigance et toi aussi. Vous avez tout fait pour que je revienne mais lui n’a pas voulu et je ne me suis pas sentie capable de l’affronter. Pour moi, il était mort et je serais d’une plus grande aide loin de vous que près de vous. Il vous avez promis qu’une fois que je ne serais plus à la maison, l’ambiance serait calme et sereine. Tu parles, ce fut pire que jamais. Je ne voyais maman qu’entre deux portes et le peu de fois où j’ai pu t’approcher, il était là omniprésent. Il te faisait sourire et tu restais distante avec moi. Je ne comprenais pas. Je me suis dit qu’il était revenu à de meilleurs sentiments (comme s’il en avait jamais eus) et que tu m’avais définitivement écartée de ta vie. C’est vrai j’avais bu et je n’aurais jamais du, j’étais impardonnable et sans ça, il n’aurait pas eu l’occasion de se livrer à un mensonge éhonté mais quand même, la pilule avait du mal à passer avec tout ce qu’il t’avait fait endurer depuis le début de ta maladie. Maintenant que je sais la vérité, que pendant les 2 mois qui ont suivi, il vous a quasiment séquestrées et que par peur des représailles vous évitiez au maximum les contacts avec moi, je ne peux que me sentir plus minable que jamais, tellement responsable d’avoir joué son jeu et d’avoir sans le vouloir révélé à tes yeux l’ignominie de notre père à un moment où tu n’avais surtout pas besoin de ça. Toi qui croyais qu’il t’aimait t’a montré en abusant de ta maladie et de ta fatigue que le seul être qui comptait à ses yeux c’était lui, encore lui et toujours lui. Si au moins, je t’avais évité ça, tu serais sûrement encore là.
Quand nous sommes arrivés à l’hôpital avec Patrick, j’avais les jambes en coton, le cœur lourd prêt à exploser et la boule au ventre. J’avais peur de mes réactions. Alors que j’aurais aimé te prendre dans mes bras, te dire que je t’aimais, que tu étais ma petite sœur adorée malgré tous les différends que notre père s’était fait un malin plaisir de semer entre nous, j’ai dû m’abstenir. Nous ne nous étions jamais dit ce genre de mots là. Tu aurais tout de suite compris que tu étais en train de nous quitter. Je n’avais pas le droit de te faire ça alors, j’ai ravalé mes larmes. Quand je t’ai embrassée et que tu m’as dit «excuse-moi Sonia, je ne te vois pas bien» ça m’a tordu les entrailles et les seuls mots bateaux que j’ai trouvés ont été «c’est pas grave Vanessa, c’est temporaire». Quand tu m’as répondu «j’espère», je ne sais pas où j’ai trouvé la force de ne pas fondre en larmes. J’étais totalement dépourvue. Je t’ai parlé ensuite de notre projet de partir en Transsibérien et tu m’as souri. Tu étais fatiguée et tu voulais te reposer. Je suis sortie et là je n’ai pas pu retenir plus longtemps mon chagrin, je me suis mise à pleurer, je me suis retenue pour ne pas crier. La main encore sur la poignée, j’ai dit à tout le monde que pour l’instant tu ne voulais voir personne mais notre père m’a bousculée en maugréant que lui irait te voir quand même. J’étais dégoutée. Par la suite, j’ai continué à le voir à l’œuvre et j’ai réalisé à quel point il était plus immonde encore que je ne l’avais jamais imaginé. J’espère que tu dormais et que tu n’as rien senti quand il s’attardait à t’embrasser. Ce n’étaient pas les baisers d’un père bienveillant, affectueux, sincère et sain d’esprit, c’étaient ceux d’un père tordu et malade, plus fasciné par la mort qui s’installait dans ton corps frêle et affaibli qu’anéanti par la perte de sa fille chérie. J’ai dû sortir à plusieurs reprises tellement les hauts le cœur m’étouffaient. Je me serais écouté, je me serais jeté sur lui et je crois que je l’aurais battu à mort.
Ton ami travaillait le lendemain, quant à moi j’étais en charge de tous les animaux de la maison que j’avais réintégrée avec la bénédiction paternelle. Patrick m’avait mise à l’aise et m’avait dit que nous partirions quand j’en aurais envie, notre père lui était pressé que je débarrasse le plancher. Sous ses faux airs prévenants, il m’a dit qu’il était temps que nous partions pour éviter les embouteillages et pour ne pas rentrer trop tard mais sa voix et son trépignement trahissaient son empressement à me voir dégager. Il ne nous avait pas suffisamment faites chier toute notre vie, il ne l’avait pas suffisamment bousillée comme ça, il fallait encore qu’il sabote les derniers instants que je partageais avec toi.
Pendant 8 heures, le jeudi tu es restée seule, notre père avait convaincu maman de venir à la maison chercher ton chéquier pour payer tes funérailles. Maman était effondrée et ne savait plus où elle en était ni où elle était. Quand elle est arrivée à la maison, elle était comme un zombie, notre père la pressait et l’engueulait parce qu’elle ne trouvait pas le chéquier. Devant ce comportement sordide, à vomir, je n’ai pas pu dire un mot. Une fois encore, je me serais écoutée, je me serais jeté au cou de ce monstre et je l’aurais tué.
Dans la nuit du 19 au 20 décembre, tu nous as quittés. Depuis ce jour-là, c’est tous les jours le cauchemar. Cauchemar parce que tu nous manques à en crever, cauchemar parce que c’est ton décès qui nous a réveillées de l’anesthésie générale dans laquelle ce père indigne nous avait plongées. Cauchemar parce qu’en se remémorant toute notre vie, nous avons compris que nous n’avions été que les jouets d’un chef d’orchestre machiavélique. Pourquoi a-t-il fallu que ce soit toi qui provoque le déclic ? Maman a décidé de se battre, personnellement je ne me battrais pas. Contre lui nous avons peu de chances et sans toi, il n’y aura plus de joie.
Veuillez m’excuser pour la longueur de mon texte et les propos de haine que j’ai à l’égard de mon père. Beaucoup d’entre vous ont perdu leur papa, en sont très malheureux et c’est tellement normal. Le mien ne fait pas partie des bons pères et pendant que vous pleurez le votre, j’aimerais voir le mien au fond d’un trou. Pendant que ma sœur qui aimait la vie, qui s’intéressait à tout et avait une vie saine, je suis là malgré l’anorexie, la boulimie et tout l’alcool que j’ai ingurgité. Quel sens peut-on donner à de telles injustices ? Aucun, à part peut-être que ma sœur et moi en n’ayant pas eu d’enfants, nous aurons stoppé une branche familiale malfaisante. C'est peut-être ça la mission que nous avions avant de venir sur Terre. Qui sait?