Bonjour,
J'écris sur ce forum, je ne sais pas vraiment ce à quoi je m'attends de cette démarche, mais j'espère peut-être qu'en écrivant mes préoccupations, il se passera quelque chose en moi. Ma soeur G., s'est pendue dans sa chambre lendemain de ses 15 ans. Moi j'en avais 11. Ce serait faux de dire que c'est à ce moment que la douleur a commencé. G. était une personnalité borderline en formation, selon le coroner qui a eu accès à son dossier médical. Elle a eu de nombreuses hospitalisations en pédopsychiatrie. À la surface, l'on pouvait distinguer un problème d'anorexie mentale, mais j'ai toujours pensée que ce n'était qu'une manifestation de son mal-être et non la cause. Elle était sujette à de nombreuses crises de colère. Elle aimait nous provoquer, ma mère, mon père et moi. Moi, je ne m'en rendais pas compte à l'époque, mais ma mère me disait qu'elle voyait quand Gabrielle était sur le bord d'exploser. Elle bouillonnait à l'intérieur et tout d'un coup, de manière inattendue (du moins pour moi) pour une raison frivole, elle nous faisait une MÉGA crise de colère. Mes parents m'ont dit qu'ils ont commencé à consulter des psychologues pour savoir comment la gérer depuis qu'elle avait 3 ans. Donc avant ma naissance, à peu près. Je crois que c'était une tare génétique. Pour ma part, j'ai grandi, du moins avant sa mort, dans le souci extrême de ne causer aucun ennuis à mes parents. Je me faisais toute petite, je n'exprimais aucune colère, aucune frustration, même si je devais agir comme une personne plus mature que mon âge. Pour acheter la paix, je cédais ce qui me revenait de droit à G., pour éviter une crise, à la demande de mes parents. G. était très jalouse de moi. Elle s'en prenait beaucoup à moi devant les cousines, ou les amis que nous avions dans le quartier. Elle m'a souvent dit "J'espère que tu ne trouves pas belle/bonne"..... Ceci, je viens de l'écrire sans vraiment d'émotions, c'est comme une histoire mille fois racontée pour mettre en contexte.
Mais ce soir, enfin, il y a 2 jours, une tragédie, une tuerie ignoble est arrivée à quelques minutes de chez moi, de mon université, dans une mosquée que j'ai déjà visitée. Et en pensant à ces enfants endeuillés de leur père, je me suis demandé comment ces enfants allaient grandir avec cette perte tragique dans leur vie. Et j'ai pensé à ce qu'il me faudrait pour être en paix avec la mort de ma grande soeur.
Gabrielle, si je pouvais avoir une dernière conversation avec toi, je te demanderais, est-ce que tu m’as aimé? Est-ce que tu voulais le meilleur pour moi? Me souhaitais-tu le bonheur? Est-ce qu’il t’arrivait d’avoir des pensées bienveillantes pour moi? Est-ce que j’ai raison de toujours avoir pensé depuis ta mort, que tu ne m’aimais pas, que tu aurais préféré ne pas avoir de sœur? Que si je n’avais pas été là et que les parents auraient pu se concentrer seulement sur toi, tu aurais su être plus heureuse? Est-ce que j’ai apporté un peu de positif dans ta vie? Est-ce que c’est à cause de moi que tu étais malheureuse? Est-ce que quand je faisais comme si j’étais heureuse, comme si je n’étais pas affectée, malgré les misères du quotidien, tu as pensé que j’étais meilleure que toi, plus forte que toi, et que tu ne pouvais pas m’arriver à la cheville, et que tu t’es donc dépréciée, et que tu as fini par te suicider? Est-ce qu’après tout ce temps, tu me pardonnes? Me pardonnes-tu de ne pas avoir su t'aider à mieux vivre? Est-ce que tu me pardonnes d’avoir ri à nouveau? D’avoir eu quelques petits bonheurs? Est-ce que tu veux que je sois heureuse? Je veux savoir si tu veux que je sois heureuse. Je veux le savoir. Depuis ta mort, je m’étais forgée l’idée que tu ne m’aimais pas, que tu étais méchante avec moi. Je me disais que ça me ferait moins de peine que tu sois morte si tu étais une nuisance. Mais je veux quand même savoir si tu veux que je sois heureuse. Si tu penses que même si je suis heureuse, je peux t’être loyale.
Je vous raconte tout ça, et vous en reviendrez peut-être pas mais ça fait quand même 15 ans qu'elle est morte. Et j'ai depuis ce temps eu beaucoup de mal à vivre, j'ai été sur le bord du suicide et en dépression la majorité de ce temps. J'ai développé des comportements d'auto-sabotage, parce que, je crois, je pensais que Gabrielle aurait voulue que je me tue aussi ou que j'échoue. J'en suis à un point où je suis tiraillée entre le désir de réussir et l'idée malsaine que je ne suis pas en droit d'être heureuse. Si seulement je pouvais savoir qu'elle me veut du bien. Je n'ai jamais voulu ou même souhaité lui reparler une dernière fois, mais ce soir, j'aurais tellement envie qu'elle me dise: "vas-y ma belle, fonce, soit heureuse".
Est-ce que c'est normal que ce qu'elle pensait de moi ait encore autant d'emprise sur ce que je suis devenue, sur ma vie? Est-ce que vous vivez quelque chose de semblable?