Bonjour Chante19,
Je comprends votre désarroi, mais essayez de comprendre celui de votre beau-frère. Je partage complètement le point de vue de Bruno, dont je connais un peu le parcours qui ressemble au mien. J'ai accompagné du mieux que j'ai pu, pendant des mois, mon épouse, sur ce chemin très difficile vers la mort; un parcours atroce pour elle (atteinte, encore jeune, d'un cancer du sein avec métastase cérébrale) en pleine conscience, dans la déchéance et la dépendance. Ce fut un calvaire pour elle, et ce fut abominable pour moi, de la voir souffrir ainsi. Elle est décédée au début février 2010.
Un de mes derniers "petits" deuils, avant le vrai, le définitif, tiré de mon journal :
"Noël de douceur, de chaleur, de bonheur. De nostalgie et de mélancolie aussi. Tous réunis autour de Michelle, dans la chambre, près du sapin ; rien de changé, ou presque, par rapport à l’habitude, si ce n’est le lieu...
Elle a gouté à tout : une larme de champagne, quelques petits fours, trois huîtres, un peu de saumon, une petite tranche de foie gras, quelques bouchées de chapon, quelques cuillérées de bûche glacée, et deux doigts de Gevrey-Chambertin pour arroser le tout.
Un Noël dans la tradition, dans le calme aussi, sans stress, sans histoire. Un Noël dans un cocon : de bonheur et de tristesse mêlés, extrêmes, indissociables dans le cœur et l’esprit de tous. Sans y réfléchir, chacun sent bien, inconsciemment, que ce Noël est particulier, exceptionnel, que c’est le dernier du genre et qu’il restera dans les mémoires…"
15 mois après, je reste seul, avec mes souvenirs et ma douleur; certes il y a les enfants, les petits-enfants; chacun sa souffrance, mais celle de celui qui reste me semble incomparable, car effectivement, c'est toute la vie, au quotidien, qui est remise en cause.
Je comprends, j'imagine, la culpabilité qu'il peut y avoir à continuer sa vie avec une autre compagne (ou compagnon); mais je pense que beaucoup de disparus ne souhaiteraient pas imposer au survivant un veuvage éternel; il ne s'agit pas, comme vous l'écrivez, de "refaire" sa vie, mais de la poursuivre, sans rien abandonner du passé, surtout quand il a été heureux. Culpabilité, oui, trahison, certainement pas.
Cocteau disait que le véritable tombeau des morts est le coeur des vivants. Pour ce qui me concerne, ma femme aura toujours sa sépulture dans le mien; on n'est véritablement mort quand plus personne ne pense à vous. Moi vivant (et après moi, mes enfants aussi, j'en suis certain), elle sera toujours vivante, quoi que l'avenir me réserve.
En tout état de cause, je ne crois pas que qui que ce soit soit autorisé à juger du comportement du survivant s'il est décent et correct (je ne parle pas de période de deuil hypocrite, de convenance); même les enfants, qu'il est naturel d'informer, ne doivent pas, à mon sens, dicter leur loi; Alors (pardonnez ma franchise, elle ne cache aucune agressivité) encore moins une soeur qui, dans tous les cas, a sa vie ailleurs.
Dites vous que votre beau-frère a un peu de chance dans son malheur, ne le jugez pas et ne lui imposez pas, par convenance ou pour vous faire plaisir, d'être malheureux jusqu'à sa propre mort; votre propre soeur, hélas, ne reviendrait pas et ne serait pas plus heureuse pour autant.
Amicalement