Auteur Sujet: De deuil en deuil...  (Lu 6809 fois)

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lamama

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De deuil en deuil...
« le: 21 novembre 2012 à 03:47:12 »
Bonjour,
     Merci pour votre message de bienvenue. J’ai découvert ce site en lisant les deux livres de C. Fauré : « après le suicide d’un proche » et « vivre le deuil au jour le jour », le premier m’ayant été recommandé par un ami.
     Comme beaucoup d’entre vous, je traverse une rude période, celle du premier anniversaire de mon fils qui s’est défenestré le 9 novembre 2011 (jour des 90 ans de mon père) et qui aurait eu trente ans le 24 novembre 2011. Ce mois-ci est donc particulièrement difficile.
Toutefois, je dois préciser d’autres choses :
- Mon fils aîné a 37 ans. Il est schizophrène depuis l’âge de 19 ans et je m’en suis toujours occupée. Même si ce n’est pas la même chose qu’un deuil, la descente aux enfers qu’il a vécu pour n’en plus ressortir, a été pour moi une douleur intense et demeure considérable.
- C’est mon fils cadet qui s’est suicidé l’an passé et je ne suis pas parvenue à élucider le pourquoi, même si divers facteurs me font penser à une éventuelle entrée dans des troubles bipolaires (maniaco dépressivité) non détectés. Il était homosexuel et technicien lumière, avec du travail dans le domaine du spectacle.
- Un mois après le décès de mon fils, le 8 décembre 2011, c’est le père de mon mari qui est décédé (87 ans). Un choc pour mon époux plus que pour moi.
Note : Mon mari n’est pas le père de mes enfants. Il en a un de son côté qui a 39 ans. Nous vivons ensemble depuis 23 ans. Mes enfants avaient respectivement 14 ans et 7 ans quand nous avons décidé de vivre ensemble.
- Un mois plus tard, le 29 janvier 2012, mon père décédait à son tour (90 ans passés)
- En juillet dernier, mon mari a déclaré un cancer de l’estomac très grave (linite gastrique) et depuis 4 mois, il est en chimiothérapie une semaine sur trois dans un grand centre de cancérologie.
     La semaine passée, juste avant son départ en chimio, j’ai craqué.
     Je ne parviens plus à prendre suffisamment en considération son problème de santé. D’une certaine façon, je lui en veux d’être malade (ce qui est parfaitement idiot et déplorable) et avec l’enchaînement des événements, je n’ai pas réussi à renouer une relation sexuelle avec lui depuis le décès de mon fils. Je ne comprends pas pourquoi. J’attribue ce blocage au fait que la mort de mon fils m’a anesthésiée et amputée d’une partie de mon identité, celle de mère (déjà bien malmenée par la maladie de mon aîné). Pourtant, j’avais toujours dissocié la sexualité (désir, plaisir) de la maternité (je n’ai aucune obédience religieuse) et je me suis toujours bien entendue avec mon mari sur le plan sexuel.
     En lisant les livres de C. Fauré, j’ai compris un certain nombre de choses en ce qui concerne mon comportement, le sentiment de culpabilité que je ressens et l’angoisse qui m’étreint depuis un an, mais plus fortement an ce moment. J’hésite néanmoins à prendre rendez-vous chez un psy et si je devais le faire je crois que je m’orienterais plutôt vers un psychanalyste.
     Je ne prends aucun médicament sauf un quart de comprimé de Lexomil quand je ne parviens pas à dormir. Mes nuits sont entrecoupées depuis un an et décalées (de 4 heures à 12 h en gros), mais le décalage existait déjà avant. J’ai 62 ans, et pas d’obligations matinales. Je peins et j’écris, notamment la nuit.
     J’aimerais savoir si certain(e)s d’entre vous ont aussi cumulé autant de situations tragiques en si peu de temps : 3 décès dont un suicide et un cancer. Et si oui, comment vous en êtes-vous sorti(e)s ?
     Une aide thérapeutique vous paraît-elle nécessaire ?
     Que feriez-vous à ma place, sachant que j’aimerais pourvoir retrouver une relation saine avec mon mari ?
     Je me bloque comme s’il était voué à un destin tragique à court terme et, en lisant le livre de C. Fauré, je me suis demandé si mon attitude de plus en plus distante n’était pas une recherche inconsciente de protection contre la douleur que m’occasionnerait sa mort si elle devait arriver : une sorte de préparation à sa disparition. Or pour le moment, la chimio marche bien et il développe énormément d’énergie pour lutter contre la maladie. Davantage d’attention, de soutien et de complicité de ma part seraient donc souhaitables, mais je n’y parviens plus.
     Il faut que je résolve ce problème qui s’ajoute à la douleur de la perte de mon fils et que je puisse aussi poursuivre mon travail de deuil. Sans compter que j’essaie aussi de dialoguer avec mon fils aîné pour lequel la disparition de son petit frère a également été un choc. Je me perds dans de multiples réflexions et ne sais plus bien par quel bout prendre les problèmes. De culpabilité en culpabilité, de douleur en douleur : j’étouffe.
     Par avance merci pour votre attention et conseils.
     Lamama (surnom que mon fils décédé m’avait donné)

marie-o

  • Invité
Re : De deuil en deuil...
« Réponse #1 le: 21 novembre 2012 à 08:17:26 »
Lamama, bonjour,

je prends connaissance de ton message ce matin, j'espère que tu trouveras du soutien ici.
j'ai perdu mon mari par suicide, il y a 10 mois. Je n'imagine pas plus grande souffrance que la perte d'un enfant, surtout par suicide.
j"entends ton désarroi, et , à te lire, je pense que tu as besoin d'un lieu de parole et d'écoute . Il existe surement des psychologues dans l'établissement où ton mari est suivi qui pourraient vous accompagner tous les 2 . Mais que tu es un lieu d'écoute pour toi semble une très bonne idée.Par ailleurs, quand j'ai perdu mon mari , c'est mon corps qui a réagi le premier, et , je m'en occupe ,petit à petit je me le réapproprie. Ta perte de désir est lié surement à plusieurs facteurs: perte du fils ,perte du père et peur de perdre ton mari.
Ton corps te dit quelque chose. Ce que tu traverses est beaucoup pour une seule personne.
J'aime beaucoup cette phrase: le destin du fruit est de s'offrir , or le destin de la racine est de prendre,

Amicalement
Orchis

mariej

  • Invité
Re : De deuil en deuil...
« Réponse #2 le: 21 novembre 2012 à 14:56:22 »
Bonjour Lamama,

En te lisant, je me suis dit que j'aurais pû écrire quelques passages de ton histoire, d'ailleurs je m'aperçois que spontanément j'utilise le "tu" pour te parler, ce qui n'est pas l'habitude chez moi;

Comme toi, j'ai perdu un fils de 31 ans qui s'est suicidé par pendaison sans signes extérieurs qui auraient pû laisser soupçonner une telle souffrance. Il y a de cela 4 ans, c'était le 20 octobre 2008, en mai 2008, le père de mon mari est mort à l'âge de 88ans, en mai 2011 ma plus jeune belle-soeur s'est suicidée à 43 ans, en février 2012 un frère de mon mari de qui nous sommes très proches est mort à 60 ans suite à un accident de voiture et en septembre 2012 mon plus jeune fils a perdu son compagnon (âgé de 40 ans) avec il vivait depuis 1 an, il est mort d'un cancer.

Je ne veux pas m'étaler sur tous ces deuils, mais il est vrai qu'une telle succession de deuils est très difficile, car à chaque fois qu'il y a du mieux, un nouveau deuil ravive tous les autres et c'est très difficile, très cruel....

Alors oui, pour s'en sortir, il est important de se faire aider. Pour ma part, j'avais commencé une psychothérapie en 2000, car mon plus jeune fils a eu une adolescence difficile avec 2 crises de bouffées délirantes, comme toi j'ai eu l'impression d'une "descente aux enfers" à cette période-là; maintenant il va mieux de ce côté-là, mais son deuil récent l'éprouve énormément;

 Je ressentais d'autant plus le besoin de me faire aider que j'ai perdu mon papa quand j'avais 8 ans, il avait 32 ans, il est mort dans un accident de voiture, j'étais l'aînée de 4 filles et à cette époque on ne parlait pas de psy pour les enfants, ni pour maman qui était jeune, elle avait 30 ans et s'est beaucoup appuyée sur moi qui était l'aînée, ce qu'elle fait encore, mais je rentre beaucoup moins dans "son jeu", j'ai appris à me protéger.

Quand mon fils est mort j'ai repris avec ma psy (j'avais arrêté en 2007) et je dis souvent que sans cette aide je serais devenue déprimée ou folle... mais rassure-toi je vais bien, je dors sans médicament, je continue à travailler avec des responsabilités importantes, je me suis aussi aidée également par des méthodes douces, ostéo, massages, soins énergétiques, Fleurs de Bach, Shiat-Su, pas tout à la fois, mais selon les moments et mes besoins.

Comme toi j'ai eu aussi des difficultés dans ma relation amoureuse avec mon mari, je culpabilisais à avoir du plaisir, alors que j'étais si triste, il a fait preuve de grande patience, il se fait aider lui aussi, ça va beaucoup mieux maintenant... Il faut du temps, le chemin est long, lamama, mais il y a une petite lumière au bout de ce long tunnel noir qui peur paraître interminable à certains moments.

reviens écrire sur le forum, l'écriture aide beaucoup et puis tu y trouveras du soutien; je suis prête à t'aider, n'hésite pas, nous avons presque le même âge, j'ai 59 ans, je ne t'ai pas dit, j'ai aussi une grande fille de 37 ans qui va bien et se fait aider elle aussi car cette avalanche de deuils nous éprouve tous!

Je t'embrasse, Lamama, et t'envoie plein de tendresse.

Mariej
« Modifié: 21 novembre 2012 à 21:01:48 par mariej »

lamama

  • Invité
Re : De deuil en deuil...
« Réponse #3 le: 22 novembre 2012 à 01:14:22 »
Bonjour,
Merci Orchis pour ta réaction immédiate. Mon mari suit une psychothérapie associée à sa maladie et nous en avons parlé : il ne nous semble pas bon, pour l'un comme pour l'autre, de faire une thérapie de couple. L'enjeu n'est pas là, je crois. Chacun doit s'occuper pleinement de son problème, et c'est à nous de mieux gérer notre dialogue.
Nos souffrances sont différentes.
Par contre, tu as raison de dire que l'accumulation "suicide du fils, décès du père et cancer du mari" fait beaucoup, trop même pour une seule personne. Le fait qu'il s'agisse uniquement d'hommes en l'occurrence, me fait penser que peut-être, je me sens un peu "persécutée" par la gent masculine (sans qu'elle y soit pour quelque chose, évidemment) d'où cette "fermeture" du corps qui se refuse à tout plaisir.
Je vais essayer de trouver un psychiatre psychanalyste qui soit en mesure de comprendre...
Merci encore pour ton soutien. Amicalement, lamama

lamama

  • Invité
Re : De deuil en deuil...
« Réponse #4 le: 22 novembre 2012 à 02:16:43 »
Bonjour MarieJ,
et un grand merci pour ton message qui me remet un peu les pendules à l’heure : je ne suis pas seule à vivre des drames en série ! 
     J’ai bien conscience du fait que chaque événement ravive la douleur des précédents, mais pour l’instant, je suis quelque peu dans l’urgence. Retrouver un certain équilibre qui me permette à la fois mieux accepter et « prendre en moi » le suicide de mon fils,  tout en me rendant plus disponible pour mon mari et son calvaire.
     Il est vrai qu’il y a des points communs entre nos histoires respectives, mais à l’évidence, tu as franchi le cap de la psychothérapie avant moi. Personnellement, j’ai toujours essayé de me sortir seule des situations psychologiques difficiles auxquelles j’ai été confrontées, y compris dans ma propre enfance. Reconnaître que je ne m’en sors pas bien actuellement est donc un pas difficile à franchir.
     Mon mari suit une thérapie de son côté, mais en lien avec sa maladie et le décès de son père. Nous avons chacun des gouffres en nous…qui engendrent des problèmes bien spécifiques à résoudre individuellement. Déjà, depuis la semaine dernière, nous avons modifié notre manière d’aborder les choses et j’ai retrouvé chez lui une certaine écoute de mes propres difficultés.
     J’imagine que pour ton plus jeune fils, probablement très fragile, le décès de son compagnon a dû être un véritable choc. Quoiqu’on en dise, la vie des homosexuels, hommes ou femmes, est plus complexe et difficile que celle des hétéros car il n’est pas aisé pour eux de trouver une stabilité affective. Mon fils en a beaucoup souffert avant d’en arriver au suicide.
     Je connais nombre de ses amis, hommes et femmes, et depuis un an, j’ai beaucoup parlé avec eux. Nous avons essayé de faire le point sur les problèmes qu’il rencontrait. Je n’ai pas pour autant d’explication claire de son acte. Et cela continue à me tenailler.  Quand il est décédé, je me suis dit que j’allais écrire sa vie, construire un roman autour de son histoire… Mais pour l’instant, je n’y suis pas parvenue : c’est trop proche, la douleur est trop forte. Pourtant, je pense que ce serait une bonne manière de me le réapproprier, de le reprendre en moi d’une manière plus sereine. Je m’y remettrai sous peu si je retrouve une certaine harmonie dans ma vie quotidienne.
     À chaque phrase que j’écris, j’ai le sentiment qu’il me faudrait évoquer d’autres choses. C’est finalement assez frustrant de s’exprimer ainsi sur un forum. J’aimerais aussi en savoir plus sur tout ce qui t’est arrivé, le pourquoi du suicide de ton fils de 31 ans, et tout le reste… Impossible bien sûr.
     Néanmoins, ton message m’a fait beaucoup de bien et je suis de plus en plus convaincue qu’il me faut une aide thérapeutique. Je vais chercher au plus près de chez moi…ce qui risque d’être déjà loin dans un secteur aussi désertique que le mien (ardèche cévenole). C’est dans des moments comme celui-ci que je regrette Paris, même si la nature environnante est un espace de ressourcement constant.
     Bon courage pour toi et les tiens et merci encore pour ton soutien.
     Affectueusement, Lamama

lamama

  • Invité
De deuil en deuil...
« Réponse #5 le: 24 novembre 2012 à 04:51:58 »
 À TOUS,
Parmi tous les témoignages d'amitié que j'ai eus après le suicide de mon fils, celui-ci m'a marquée. Il venait d'une personne que je ne connaissais pas personnellement mais qui participait à la même lutte que moi. Comme nous étions donc en relation par mail, j'avais fait part de ma douleur à tous ceux avec lesquels je communiquais régulièrement, en leur annonçant une période de retrait.
Ce texte que j'ai trouvé très beau, m'a aidée... Il vient d'ailleurs et d'une époque où les hommes ne pensaient pas qu'au fric : là où une culture humaine liée à la nature avait encore cours. Puisse ce texte aider d'autres personnes que moi sur ce site ! Leur enfant ou toute autre aimé(e) est partout...en eux et hors d'eux. Le monde n'est pas fait que de vivants. Les morts ont aussi leurs mots à dire...pour qu'on finisse par les lâcher, les laisser partir...  Lamama

A ceux que j’aime…à ceux qui m’aiment

Quand je ne serai plus là, relâchez-moi, laissez-moi partir,
J’ai tellement de choses à faire, à voir,
Ne pleurez pas en pensant à moi,
Soyez reconnaissants pour les belles années,
Je vous ai donné mon amitié, vous pouvez seulement deviner
Le bonheur que vous m’avez apporté.
Je vous remercie de l’amour que vous m’avez démontré
Maintenant il est temps de voyager seul,
Pour un court moment, vous pouvez avoir de la peine,
La vie vous apportera réconfort et consolation.
Nous serons séparés pour quelque temps.
Laissez les souvenirs apaiser votre douleur,
Je ne suis pas loin, et la vie continue…
Si vous avez besoin appelez-moi et je viendrai.
Même si vous ne pouvez me voir ou me toucher, je serais là
Et si vous écoutez votre cœur, vous éprouverez clairement
La douceur de l’amour que j’apporterai.
Et quand il sera temps de partir,
Je serai là pour vous accueillir.

N’allez pas sur ma tombe pour pleurer,
Je ne suis pas là, je ne dors pas.
Je suis les mille vents qui soufflent,
Je suis le scintillement des cristaux de neige,
Je suis la lumière qui traverse les champs de blé,
Je suis la douce pluie d’automne,
Je suis l’éveil des oiseaux dans le calme du matin,
Je suis l’étoile qui brille la nuit,

N’allez pas sur ma tombe pour pleurer,
Je ne suis pas là. Je ne suis pas mort.

Prière amérindienne