Bonjour Annabelle,
Je comprends d'autant mieux ce que ressent ta mère que j’ai traversé la même épreuve il y a un an. En lisant tout ce qui s’écrit sur ce site, je me rends compte que les réactions de chacun et chacune sont très proches. Les différences viennent surtout de l'âge que l'on a, de notre environnement et des conditions du décès de la personne aimée. Il est des situations plus dures que d’autres même si toutes sont insupportables à ceux qui les vivent. En tout cas, perdre un enfant, même s’il est adulte et ne vit plus chez soi, est je crois l’une des souffrances les plus inimaginables et les plus difficilement surmontables. En tant que mère, on se sent amputée d’une partie de soi-même et on se demande comment on va pouvoir survivre.
Il m’est malheureusement difficile de te dire que les choses vont s’arranger rapidement. Ta mère va certainement souffrir longtemps encore. Mon fils s'est suicidé il y a douze mois, le 9 novembre 2011. Il aurait eu 31 ans ce 24 novembre 2012. Or bien qu’une année se soit écoulée, j’ai revécu tout le scénario de son décès comme si c’était hier. L’angoisse est montée progressivement, et depuis le 15 octobre 2012, j’ai vécu une sorte d'enfer, comme si la douleur s’était encore amplifiée au moment des anniversaires. Tous les pourquoi se sont reposés avec un sentiment de culpabilité presque plus fort, alors que je pensais avoir intégré un certain nombre de choses. Après une très grosse crise, il y a trois jours, j’ai retrouvé un semblant de sérénité.
Pourtant, je suis moins apathique que je ne l'étais les six premiers mois. Je ne dirais pas que j'ai repris goût à la vie, mais je me focalise moins sur mon fils disparu. Je pense aussi à celui qui reste et j'essaie de m'investir dans des choses qui m'intéressent. La mort d'un enfant, c'est l'horreur et je ne crois pas que l'on puisse vraiment s'en remettre. En revanche, si on veut encore vivre et partager des choses avec les autres, amis ou famille, il est indispensable de prendre en soi la douleur que l’on ressent, de ne pas vouloir l’éliminer mais au contraire de s’y adapter. C’est un effort, un travail quotidien sur soi-même. Mais ce travail sur soi, il est plus ou moins facile en fonction de l’environnement dans lequel on est. Ta mère est-elle seule ou accompagnée ? A-t-elle des amis sur lesquels elle peut compter, avec lesquels elle peut parler ?
Après le suicide de mon fils, la première chose que j’ai faite a été de me réfugier dans la lecture en essayant de trouver des récits qui me parlaient d’expériences proches de celle que je vivais. J’ai commencé par "j'ai réussi à rester en vie" de Joyce Carol Oates (ed. Philippe Rey) : une femme écrivaine de 69 ans qui perd brutalement son mari (maladie). Puis, j’ai lu "le fils" de Michel Rostain (ed. Pocket) : un jeune de 20 ans décédé lui aussi brutalement de maladie. Avec ces deux livres, j’ai compris que je n’étais pas seule à vivre une situation dramatique et que la douleur était partout presque la même. Puis plus récemment car j’avais l’impression que je ne m’en sortirais pas, j’ai lu les livres de Christophe Fauré : "Vivre le deuil au jour le jour" et "Après le suicide d'un proche" chez Albin Michel. Ceux-là m’ont beaucoup aidée à comprendre ce qui se passait en moi et à faire face à la douleur. Méduse t’en a recommandé un autre que je ne connais pas encore. Et il y en a certainement d’autres.
Les livres sont extrêmement importants à la fois parce qu’ils nous permettent de « sortir de nous-mêmes » et en même temps de cheminer avec notre douleur, car d’autres l’expriment pour nous. Mais bien sûr, tout dépend des habitudes de ta mère en matière de lecture. Lit-elle beaucoup, souvent ? Je dois dire que pour moi, la lecture et l'écriture sont essentielles depuis un an. Mais c’était une pratique courante pour moi. Je ne sais pas s’ils « reboosteront » ta mère, mais il l’aideront certainement à accepter un peu mieux sa douleur. Peut-être pourrais-tu également lui suggérer d’écrire ce qu’elle vit, comme on tient un journal. Même si elle n’en a pas l’habitude, cela peut l’aider d’écrire ce qu'elle ressent au jour le jour. C’est une forme d’ouverture et de délestage, rien que pour soi. Elle pourra se relire et voir ce qui change de jour en jour. Là encore, tout dépend de son âge et de ses facilités ou difficultés en la matière.
Une fois de plus je me rends compte qu’il est difficile d'aider les autres sans savoir plus précisément ce qui s'est passé. Il n’y a qu’en fonction du contexte que l’on peut réfléchir à ce qui soulagerait le plus.
En tout cas, le décès d'un frère est aussi extrêmement douloureux. Ces livres pourraient également t’aider, tout en devenant le support d’un dialogue plus aisé avec ta mère au sujet de la perte de ton frère. Ils m’ont facilité les rapports avec mon mari (qui n’est pas le père de mes deux enfants) en m’amenant à exprimer ma douleur sur un registre plus collectif, plus général qu’il était mieux à même d’entendre tant il se sentait désorienté et impuissant devant ma souffrance. Courage à toi et à ta mère. Amicalement, lamama