Eva Luna... Je t'embrasse... On ne se connait pas, en fait, mais j'ai lu ton histoire et voila... Bien des choses sont différentes, entre nos vécus... Le malheur, la souffrance, ont plusieurs visages, mais restent malheur et souffrance...
Mon chéri est parti, il y a seulement un peu plus de 6 mois et ça peut paraître con, mais à ce stade, ce qui me fait le plus peur, ce dont je souffre à l'avance, c'est d'atteindre ce moment... Ce moment dont tu parles, je crois... Où suffisamment de temps, où trop de temps aura passé... Où la souffrance intense se sera usée, consumée... Où tout aura été dit, répété, ressassé... Où même le mot "deuil" arrive à échéance... du moins pour les autres, le reste du monde... Peut-être même aux yeux de ceux qui pourtant, sont atteints de plein fouet par un malheur similaire, mais sont encore au cœur de la tornade...
Moi je pense... à cette tornade qui devient tempête, à cette tempête qui devient orage, à cet orage qui devient nuage... "je suis sortie du pire... me reste le plus long...toute la vie après... ". Ces mots, tes mots... ça me touche tellement... J'ai la gorge nouée, de penser à ceux qui sont passés par là où je suis passée, par pire encore... et qui sont là bas, plus loin sur le chemin, courageux et meurtris, mais debout sur cette longue route... J'ai la gorge nouée de me dire que je serai là bas moi aussi un jour, sans doutes, après avoir usé mon chagrin, et qu'il y aura toujours ce nuage près de moi, jusqu'à ma mort... Je n'aurai même pas à lever les yeux pour le voir, je sais qu'il sera là...
Et je me dis que quand je serai là bas, j'aimerais qu'il y ait toujours des gens autour de moi pour me soutenir, m'enlacer, me dire que j'ai été courageuse de traverser cette tornade... Des gens qui seront là pour porter avec moi, la mémoire de cette souffrance passée, ancrée à jamais dans ma chaire... Des gens qui m'aideront à voir le soleil derrière le nuage, mais qui n'auront pas peur de regarder avec moi, ce nuage qui m'accompagne...
Voilà... Je suis derrière toi sur la route, mais ce soir, je t'envoie un petit pigeon voyageur, à qui je charge de te transmettre un peu de chaleur et quelques jolies pensées. Et puis tu sais, le propre d'un Havre, de paix ou de chagrin, c'est qu'il est toujours là et qu'on peut partir et revenir quand ça nous chante.
Prends soin de toi.