Bonjour à tous
Comme vous je vis la terrible épreuve de la perte d'un enfant. Ces derniers jours j'ai beaucoup erré sur la toile, à la recherche non pas de réponses mais d'un endroit où déposer toute cette peine qui m’étouffe chaque jour. Un endroit où d'autres ressentent les mêmes choses que moi, ne me jugeront pas et ne gafferont pas avec des phrases pseudo-réconfortantes ou pseudo-encourageantes comme ont tendance à le faire les vivants.
Non pas que j'en veuille à mon entourage, mes amis de vouloir me réconforter, mais pour certains, même si je sais qu'ils ne pensent que à mon bien, je ne supporte plus leurs paroles compatissantes. Les "j'admire ton courage" ou les "il faut continuer à vivre pour les enfants" ou encore les "tu dois te battre" ou bien "tu verras la lumière au bout du chemin". Comme si je ne savais pas déjà tout cela, comme si j'avais besoin qu'on me le dise
Oui j'ai perdu un enfant, et oui j'en ai encore 2 de vivants et ils ont besoin de leur maman, je le sais. Je dois être là pour eux chaque jour, d'autant plus que je les élève seule puisque je suis séparée de leur père et que je n'ai pas de famille juste à coté de chez moi, mais même si je les aime de tout mon cœur, ils ne remplaceront jamais Tristan.
Tristan c'est mon fils ainé, mon grand amour, mon sang, mon âme, ma vie. Notre histoire fait presque cliché. 2 étudiants qui se rencontrent à la fac et la naissance d'un enfant. Immédiatement s'est nouée une relation quasi fusionnelle entre Tristan et moi. Ce petit être qui grandissait dans mon ventre et que j'aimais déjà à la folie. Ce petit bébé qui me remplissait de bonheur, ce soleil entré dans ma vie, pour qui j'avais décidé d'arrêter mes études de médecine, parce qu'il était la plus belle chose qui me soit arrivé, parce qu'il était ma plus belle réussite et parce que je voulais passer tout mon temps avec lui, ne pas rater une seule miette de sa vie. Ce même enfant pour qui j'ai voulu une vie meilleure des années plus tard, lorsque avec son père les choses allaient mal et que j'ai d'abord décidé de reprendre mes études pour avoir une bonne situation, puis de le quitter pour que les enfants puissent grandir avec une mère heureuse plutôt qu'au milieu des cris et des pleurs d'un couple en ruine.
C'était il y 2 ans et demi. J'ai tout laissé à mon ex contre la garde des enfants et depuis je reconstruisais ma vie avec eux jour après jour. Tristan était mon souffle de vie, du haut de ses 10 ans à l'époque il s'occupait de sa petite sœur, l'aidant pour ses devoirs, son bain, veillant sur elle sur le chemin de l'école, cajolait son petit frère, lui racontant des histoires et l'acceptant même dans son lit les soirs où il disait "j'ai peur dans mon lit quand il fait noir". C'était mon petit homme, si calme, si gentil, toujours souriant, intelligent et mature. On avait enfin trouvé un équilibre, on parlait de l'avenir à court et à long terme. Lorsque je rentre du boulot le soir, épuisée, après avoir récupéré mon petit dernier en périscolaire, je savais que les grands auraient fait leurs devoirs, que j'aurais juste à faire à manger pendant que les petits prendraient leur bain puis à les coucher. Ensuite j'aurais une petite heure juste pour nous avant que Tristan aille se coucher, une heure à profiter de sa présence apaisante, de son visage angélique, à parler de tout et de rien en regardant la télé ou en jouant sur la console.
Et puis un jour il est tombé malade, juste une mauvaise grippe, cette année elle n'était pas sympa la grippe. C'était en
janvier 2013, il a toussé pendant un mois puis ca allait mieux....enfin presque. Il restait très fatigué et perdait du poids, semaine après semaine (7kg en 1 mois en
février), il perdait sa force et son appétit. Lui qui avait toujours été sportif a même abandonné ses activités, lui qui détestait devoir rater des cours oubliait de se réveiller pour aller au collège
Jusqu'au jour que je cru être le plus noir de ma vie, celui où le médecin m'a annoncé que mon fils avait un lymphome. C'était le
8 mars, le jour de l'anniversaire de ma maman. Ce jour là fut un cauchemar, d'une agressivité hors-norme. En 24h il est passé des urgences en réanimation, on lui a posé 3 cathéters, fait 2 biopsies dont une de moelle osseuse et l'autre du rein sous cœlioscopie parce que le seul ganglion "visible" était trop mal placé et que l'échographie montrait 2 gros reins complètement infiltrés et il a été mis sous dialyse continue. 3 jours plus tard commençait la chimio, des effets secondaires dévastateurs, la douleur intolérable et ce qui devait être un long périple contre la maladie fut en réalité une course contre la montre. Mais les médecins restaient optimistes.
C'est là que sont arrivées les ténèbres, jamais je n'aurais cru connaitre une telle douleur, une fois de plus en 24h notre vie basculait. Alors que son état de santé commençait à s'améliorer, Tristan nous a quitté, sans prévenir, brutalement, douloureusement, de manière totalement incompréhensible aussi bien pour nous que pour les médecins. Son cœur, si petit dans sa poitrine mais si grand dans la vie était en train de le lâcher. Retour en réa ... Au matin 5 médecins de spécialités différentes (réanimateur, anesthésiste, cardiologue, néphrologue et hématologue) étaient là pour m'expliquer qu'il y avait peu de chance pour qu'il passe la journée, son cœur battait mais il ne pompait plus suffisamment de sang, toutes les drogues avaient été essayée durant la nuit en vain, son cœur refusait de battre suffisamment fort pour lui permettre de vivre. Au fur et à mesure que je voyais sa tension chuter, signe que son cœur s'affaiblissait, le mien ralentissait.
Et c'est là que l'on m'a demandé l’innommable ... On m'a demandé de choisir entre me battre jusqu'au bout mais en vain ou le laisser partir mais en soulageant sa douleur. J'étais bien consciente de ce qui était le mieux pour lui, le plus humain mais il m'était impossible de me résoudre à sortir ces terribles mots, leur dire que je voulais qu'on arrête de se battre pour le laisser mourir. A partir du moment où j'ai réalisé qu'il allait mourir je me suis mise à vomir. En attendant qu'ils le nettoient (il saignait beaucoup), l'intubent et le soulagent à grosses doses de morphine, je reste dans la salle d'attente, les yeux obstinément fermés, comme pour ne pas avoir à affronter cette dure réalité, n'ouvrant les yeux que pour me précipiter aux toilettes rendre ce que je n'avais pas avalé. J'étais à ses cotés quand il a rendu son dernier souffle, mon cœur s'est arrêté, je n'y croyais pas, je serrais sa petite main dans la mienne sous sa couverture chauffante, c'était irréaliste. Je suis restée à ses cotés encore plusieurs heures après cela, le temps que la famille vienne lui dire au revoir et aussi parce que je ne voulais pas le quitter. Je restais là, je serrais sa main, caressais son bras ou son visage et versant toutes les larmes de mon corps. C'était le
28 avril 2013.
Lorsque j'ai quitté le service je n'avais qu'une seule envie, le ramener à la maison, peu importe qu'il respire encore ou pas, peu importe que son cœur batte ou pas, je voulais juste qu'il revienne à la maison. Mais j'ai du lui dire au revoir et partir. Le lendemain je suis allée à la morgue, je devais le revoir, j'en avais besoin, le toucher, l'embrasser, lui parler. J'ai pris dans ma main sa petite main froide et je l'ai réchauffée. Comme si il était juste sorti sans gant une froide journée d'hiver. Et je lui ai dit combien j'étais désolée qu'il ai tellement souffert durant ces 7 semaines de lutte contre la maladie et combien j'étais désolée de ne pas avoir réussi à le sauver, je me suis excusée pour toutes les promesses faites ces dernières semaines et que je ne tiendrais jamais, je lui ai dit combien je l'aimais. Et je lui au dit au revoir ... encore une fois ... en m'excusant pour ce qu'on allait lui faire puisque le lendemain devait avoir lui l'autopsie (pour savoir pourquoi une maladie qui se soigne plutôt bien chez l'enfant et dans les plus mauvais pronostics donnent lieu à des années de combat, pourquoi chez lui il a été si agressif, occasionnant des troubles qui n'auraient pas du être et pourquoi son cœur s'est affaibli. Questions qui intéressent autant les médecins que moi sa mère). Ensuite il y a eu la mise en bière où là encore j'ai voulu être en avance pour pouvoir le toucher, l'embrasser une dernière fois ... et lui parler, encore et encore, lui dire tout ce que j'aimais en lui, tout ce qu'il me manquait, combien j'étais fière de lui, de son courage et de tout ce qu'il était. Et un autre au revoir.
Vendredi ont eu lieu les obsèques, ultime au revoir pour ses amis qui lui ont fait un magnifique hommage en déposant des roses blanches, pour nos propres amis qui l'ont vu grandir. Nous n'avons pas souhaité être présents pour la crémation, nous avons récupéré l'urne lundi pour l'emmener nous même dans la famille de son père, il reposera à jamais auprès de ses arrières grands-parents, dans la concession familiale où iront également ses grands-parents quand viendra leur heure. A chaque étape la douloureuse impression que je l'abandonnais alors que la seule chose que je voulais c'était de voler son corps pour le ramener à la maison, près de moi, qu'il ne me quitte jamais.
Depuis le 28 Avril, je vis dans les ténèbres, mon cœur s'est arrêté, je ne dors presque plus, pleurant jour après jour, me demandant comment je vais pouvoir vivre sans lui. Je n'ai pas envie de mourir, je n'ai pas envie de vivre non plus. en fait je suis déjà morte. Je revis ses derniers moments comme un échec de tout l'amour que je lui portais. Je devais le protéger, le guider jusqu'à l'âge adulte pour qu'il soit un homme bien, j'ai n'ai rempli mon rôle qu'à moitié, m'arrêtant alors qu'il n'avait même pas encore fêté son 13eme anniversaire. En journée je survie, pour le bien de la famille, pour l'amour que je porte à mes plus jeunes enfants, la nuit les ténèbres m'enveloppent.