Bonjour Sylvie T,
Il y a quelques mois, je n'aurais pas écrit ce message. Trop perturbée, trop effondrée. J'ai devant moi deux photos de mon fils qui s'est suicidé le 9 novembre 2011 (par défenestration). Cet acte me hante et je suis chaque jour confrontée au fait que je ne l'ai pas vu venir. Il n'était pas malade, il avait un boulot, des amis et ne vivait pas seul mais en colocation. Il allait avoir 30 ans le 24 du même mois. Pourtant, il s'est jeté par la dernière fenêtre de l'escalier de son immeuble (3ème étage d'un immeuble ancien...environ 16 mètres). Les deux photos sont l'une des dernières de lui dans son appartement et l'autre, celle de lui à la morgue. La confrontation entre les deux au quotidien depuis bientôt 15 mois me fait le voir dans la vie et dans la mort : son choix ou si ce n'en était pas un, son impulsion. Il a fallu qu'il souffre pour en arriver à une telle extrémité. Depuis 15 mois, j'essaie de comprendre...et de mesurer la dimension de mon incapacité à l'aider à ce moment-là. J'essaie de parler avec tous ses amis et de me souvenir aussi de son histoire. Cela ne me le ramènera pas, mais j'ai le sentiment de le faire vivre encore à travers ces échanges. Je suis devenue insomniaque...et quand je me réveille, avec l'idée (car je ne l'ai pas vu au sol) de son geste, de son plongeon dans le vide et de son écrasement au sol, l'idée d'une dislocation qui m'a été confirmée par l'autopsie, je lui parle. Je lui demande de venir me voir et de faire en sorte que je sache qu'il va bien. Pourtant, et c'est là l'important, je ne crois en aucun dieu, je ne suis même pas baptisée et mon fils ne l'était pas non plus. Ce que je convoque, dans cette demande, c'est notre rapport d'amour de mère à fils ou l'inverse, et le fait de pouvoir continuer à vivre AVEC lui. Pour moi, les choses ont basculé au bout de 9 mois environ. J'ai commencé à le "prendre en moi" mort, disparu à tout jamais. Prendre en soi son propre enfant, c'est un peu comme se "désanfanter" tout en enfantant de nouveau, autrement. Après, on peut prendre n'importe quoi comme prétexte à ne plus exister. On peut se raconter tout ce qu'on veut pour ne pas faire face. Et si on a en soi, quelques difficultés à vivre notre propre situation, on peut prétexter la mort de l'enfant. Une mère est amputée d'une partie d'elle-même quand son enfant meurt. C'est évident et il n'est pas facile de retrouver un équilibre. Personnellement, je n'ai pas retrouvé mon corps qui pourtant était actif. Je me sens toujours vide et sans désir. Dans la foulée du décès de mon fils, j'ai vécu la mort de mon beau-père (que je n'aimais pas particulièrement), celle de mon père (que j'aimais mais avait 90 ans) et le cancer de mon mari (qui ne s'arrange pas). 2011 fut un choc considérable, 2012 très dure...et aujourd'hui, 2013 donc, une rechute du cancer... On dit "jamais deux sans trois" n'est-ce pas ? Je ne sais pas comment je ferais face si je ne lisais pas beaucoup et si je n'écrivais pas. Je crois qu'il faut que tu te forces à lire et écrire...que tu regardes autour de toi, car non seulement nous sommes nombreux sur ce site à vivre les mêmes horreurs, mais il en est d'autres qui se produisent au quotidien partout dans ce monde. Voir le malheur des autres, voir que la vie est, comme le disait ma grand-mère (née en 1897), "une tartine de merde dont on mange un bout tous les jours", c'est peut-être faire un premier pas pour comprendre ce qu'est la condition humaine qui est la nôtre. Pleure autant que tu le sens, il est très important de se lâcher dans la douleur... Mais les pas dans la vie, il n'y a que toi qui pourras les faire, personne à ta place qui demeurera unique en ce monde. Courage et amitié, Lydia