Bonjour Nadia, j'ai perdu mon compagnon voici 4 mois, il s'est jeté d'une falaise.
Malade aussi, et obsédé par sa pathologie qui n'avait rien de dramatique mais qu'il a vécu comme telle.
Bref, il pouvait vivre avec cet emphysème léger, mais il a paniqué. Et rien ne laissait présager cette issue, ce coup de tête fatal à 10 jours de notre départ en vacances.
J'ai compris, après beaucoup de souffrance (état zombie, impression qu'on se liquéfie sur place, qu'on est en morceaux, en vrac, et pour toujours...), souffrance toujours présente même si, contraintes obligeant, on "revient dans la vie quotidienne" parce que pas le choix, qu'il faut accepter cette part d'inconnu que nous a montrée quelqu'un qu'on pensait connaître par cœur.
On ne peut pas tout comprendre, et le mécanisme du suicide, un deuil terrible, entraîne des phases de culpabilité, de colère (pourquoi m'a-t-il laissée

), de chagrin, et ça recommence, dans le même ordre ou dans le désordre.
Puis viennent des petits moments "d'acceptation". On ne valide pas, mais on a l'intuition, le sentiment intérieur, qu'on perd son temps à se battre contre cette réalité : elle est là ! Elle fait partie de nous pour toujours...
Cette part inconnue de l'autre, celle qui a déclenché le passage à l'acte, nous restera inconnue pour toujours.
C'est le grand mystère qu'il nous a laissé, et qui me laisse encore stupéfaite parfois, sans doute pour longtemps, pour toujours même.
Ce grand mystère existait avant nous, et cette "possibilité" de choisir sa fin de vie devait être là aussi, sous-jacente, pas forcément exprimée, mais cachée dans les tréfonds de sa personnalité. Peut-être n'en avait-il même pas conscience... ou s'il l'avait, ne pensait même pas lui-même qu'il puisse un jour passer à l'acte.
Je connais, et bien d'autres aussi, tous tes sentiments, y compris celui d'avoir envie de le rejoindre, quasiment en permanence. Au début ce désir est très concret. Puis il se transforme : j'ai toujours envie de le rejoindre, mais pas forcément en passant à l'acte. Ce moment viendra bien un jour, de toutes façons... Je le rejoins déjà dans certains rêves, et dans des signes que j'ai appris à voir au quotidien, de tout petits signes, qui me font sentir sa présence, me font sentir que le lien existe toujours, qu'il n'est pas détruit. Il est à vivre "autrement". Cette acceptation n'est pas évidente.
Voilà, je te parle aujourd'hui, en me sentant à peu près bien. Il n'en est pas ainsi tous les jours. Le travail de deuil est un long cheminement, propre à chacun. Les rechutes sont fréquentes. Prends le temps, comme je le fais, de rester seule avec toi-même, avec lui, quand tu en as besoin. Prends soin de toi, et accorde toi le moindre moment, la moindre occasion d'avoir un petit plaisir, même le plus minuscule, pour moi c'est allumer une bougie, faire de la cuisine (ça me détend...), lire un peu, me mettre au chaud sous la couette, manger du chocolat, voir une amie... ce sont des petites choses qui sont précieuses dans le travail de deuil, prendre soin de soi comme d'un tout petit enfant. Je ne me projette pas dans l'avenir, impossible. J'essaie de vivre au jour le jour, et au mieux... autant que faire se peut. Courage à toi, il n'est pas complètement disparu, il est juste sur un autre plan. Et je suis sûre qu'il est près de toi, comme je suis convaincue de la même chose concernant mon compagnon, car il me l'avait écrit dans son dernier message. Amitiés.