Oui Aline, j'ai repris le travail le 21 août (il est mort le 5 juillet). J'y allais avec des pieds de plomb, et paradoxalement ça m'a aidée. La routine, les tâches, même "imbéciles" et sans sens aucun, occupent l'esprit, le corps, les mains... on "fait", sans se poser de questions. Chez moi, livrée à moi même, j'aurais cogité non -stop. Et mes collègues ont été sympas. J'ai eu de jolies surprises, et en majorité, chacun a eu la juste distance. Cela fait du bien aussi.
J'ai beaucoup lu sur le deuil :"Vivre le deuil d'un proche au quotidien", le "Deuil par suicide", du Dr. Fauré. Et puis le "Journal du deuil" de Roland Barthes, qui a couché au quotidien ses pensées nourries du deuil, douloureux, de sa mère. Je t'en cite une qui me revient : "Je ne suis pas en deuil, j'ai du chagrin"...
lu ici, des témoignages qui expriment tous la même douleur, les mêmes émotions... on se sent moins seul quand les proches sont si maladroits, ou pour certains, carrément aux abonnés absents, ce qui est très surprenant. Certains amis sont là, les fidèles parmi les fidèles, d'autres se carapatent. ça permet de remettre des choses à leur juste place, de faire du tri dans cette "vie" nouvelle qui est devenue la nôtre...
J'ai aussi vu un médium. Je n'ai pas choisi le 1er sur une liste, mais quelqu'un de très connu. J'y suis allée pleine d'émotions, et j'en ai eu pour le temps passé, ça a été très émouvant. Je n'ai rien eu à dire, c'est lui qui m'a tout dit. Certains trouveront ça ridicule, j'assume complètement. J'y retournerai d'ailleurs, je vais laisser passer quelques mois... d'ailleurs il n'est pas facile d'avoir un RV, l'attente est longue, j'ai eu de la chance, sur un désistement ! Comme quoi...
Cela m'a beaucoup apaisée et m'a confortée dans des croyances personnelles : la vie ne s'arrête pas "là". Ils sont ailleurs, différemment. J'avais énormément besoin de ce "contact", ça m'a aidée. Je n'ai pas eu de réponses (on ne pose pas de questions, le médium reçoit des messages ou images, à nous de les interpréter. Il m'a tout de même donné le nom de son frère, et m'a dit "il me montre un enfant très blond" - le fils de mon compagnon quand il était petit était très blond - et il a ajouté : "je pense qu'il aimerait que son frère prenne soin de son fils, même adulte". Il m'a dit aussi : "il me montre un paysage de soleil sur la mer, très beau. " c'est là qu'il est mort, il s'est jeté d'une falaise, en bord de mer. Il m'a dit "ça n'est pas un suicide ? Parce qu'il me fait ce geste..." et il a fait mine de faire un pas en avant avec bascule sur son bureau. Bref, très troublant... je précise que je n'avais rien dit en arrivant, juste apporté une photo).
Bien sûr, je ne te dis pas d'avoir recours à ça, c'est une démarche personnelle, de plus, il ne faut pas en abuser, on y prendrait vite goût tant le besoin de contact est fort. Et puis nos disparus ont besoin de se "reposer" là où ils se trouvent. Ils sont souvent perturbés par ce nouvel environnement, et par la peine laissée sur terre. Le médium m'a aussi conseillé des lectures comme "Le pays d'après", que je lis en ce moment.
Toutes ces démarches aident un petit peu à apprivoiser le chagrin qui nous mine. Chacun essaie de trouver une réponse comme il peut, où il peut... mais je pense qu'il faut bien intégrer qu'une part de mystère restera pour toujours.
Le psy qui me suit m'a dit "Avec le temps, on accepte, ce qui ne veut pas dire comprendre, et encore moins valider". Il m'a aussi parlé, en ce qui concerne l'acte en lui-même et la façon de mettre en œuvre, qui sont tellement choquantes et nous renvoient l'image d'un inconnu, car notre proche pour nous était incapable de faire ça, de cette façon, et pourtant il l'a fait... il m'a donc parlé, sur le plan psychique, d'une "altération du discernement". A un moment, la personne suicidaire se bâtit un schéma comme une spirale qui l'entraîne, que le schéma soit véritablement fondé ou nourri de ses angoisses personnelles, d'une situation qu'il ressent comme inextricable pour lui. Il arrive dans un état d'angoisse où la situation est devenue tragique, et où il pense, à tort sans doute, que personne ne peut comprendre ce qu'il ressent, et surtout que la perspective du suicide est la seule solution pour lui.
C'est le paradoxe dans l'écrit que j'ai eu (et le psy m'a dit que j'avais eu de la "chance", car beaucoup de proches n'ont rien, même pas une ligne...), chez quelqu'un qui dit : "Je vais le faire, je le sais, car c'est LA solution pour moi"... et qui ajoute un peu plus loin "... si je trouve le courage car j'aime beaucoup la vie aussi"...
Cette force spirale, comme je disais plus haut est tellement puissante, que le goût de la vie, l'amour des proches, n'arrivent pas à faire contrepoids. Et que, même si l'idée suicidaire était présente depuis un temps plus ou moins long, soigneusement cachée aux autres ou évoquée dans la rigolade, pour mieux tromper son monde, le déclencheur est souvent une pulsion. Pour mon compagnon, la matinée avait bien commencé, il l'a écrit, une soleil éclatant, belle journée d'été, il est sorti, les gens étaient joyeux... et puis une crise vers midi, besoin de son aérosol pour respirer, et voilà le déclencheur. La "crise" du midi. Ensuite, c'est allé très vite : vers 18h il était à Etretat, à 22h40, il a sauté quand la gendarmerie est arrivée. Voilà ce que je peux te dire de ma triste expérience.
Alors oui, j'ai découvert quelqu'un que je ne connaissais pas dans cet acte, quelqu'un qui en portait peut être les germes en lui sans le savoir, quelqu'un qui était dans un désespoir que je n'ai pas vu, quelqu'un qui a eu un courage immense pour se tuer d'une façon si terrible. Cet homme là m'est inconnu et le restera, hélas. Celui que j'ai aimé par contre, est là, présent, je le sens. Et même si son absence et la perspective de ne plus jamais le revoir est une souffrance au quotidien, je te passe des détails que tu connais aussi, je pense qu'il faut s'accrocher à cette image là, celle qu'on a aimée. Car "l'autre" est parti avec sa part de mystère et ses tourments cachés. Il faut finir par accepter de ne pas tout comprendre. C'est le plus difficile quand on a tant besoin de réponses, et qu'on culpabilise de ne pas avoir vu, senti...
Son meilleur ami, vu au cimetière il y a quelques jours m'a dit "Je me sens trahi". Et moi j'ai ajouté : "et moi, je me sens coupable de négligence"... On en est tous là je crois, on passe par tous ces sentiments, quand on a perdu un proche par suicide. C'est inévitable.
Voilà, je ne sais pas si tu te retrouveras un peu dans mon récit... cela aide beaucoup de lire les autres sur ce forum. On se sent moins seul dans le drame que l'on vit. "Sale cadeau "qu'il t'a fait m'a dit un ami. C'est vrai aussi. Mais, à leur décharge, ce "sale cadeau" n'est aucunement dans leurs intentions. Une force les pousse, leur discernement est altéré. Ils savent que d'autres vont souffrir mais ne peuvent faire autrement et c'est pour cela qu'il faut leur pardonner vite (sans pour autant "valider" !), pour eux, et surtout pour nous.
On peut échanger en privé si tu le souhaites.
Caroline/Coccie