Merci pour ce petit mot.
Je suis revenu ici un peu à reculons.
Je sais un écueil à éviter, avec " l'expérience " acquise, c'est de trop venir sur ce site.
Celui de trop " baigner dans son jus ", se complaire dans un goût d'amertume triste et ressasser à l'excès cet événement.
J'ai cette image dans la tête de ces femmes habillées de noir, du matin jusqu'au soir, durant toute la fin de leur vie, pour ne plus quitter le deuil de leur mari.
Je comprends et ne juge pas ceux qui pratiquent cette façon de faire. Chacun fait comme il peut et comme il le sent.
Ce n'est pas la mienne.
Cependant je reviens ici parce que j'en éprouve le besoin.
Et je lis, un peu effaré à chaque fois, les dégâts que provoquent ces suicides dans le cœur des survivants.
Cette indicible douleur qui parcourt ces écrits, ces cœurs.
Il y a, mélangé dans mon esprit, une forme de compassion, de la tristesse, mais aussi l'idée suivante: ce que j'éprouve n'est pas unique, la mort telle qu'elle s'est affirmée pour mon amie porte les mêmes fondements qui motivent d'autres personnes à commettre l'irréparable.
En lisant ces récits, je retrouve dans ces morts-là, des êtres hyper-sensibles, " sur le fil du rasoir ", pouvant basculer, en fonction des circonstances de leur vie, dans une forme de folie morbide.
Des êtres qui errent parfois dans une maladie qui n'est pas ou mal diagnostiquée et souvent, une maladie mal appréhendée et mal soignée.
Ou pire, cachée.
Cela est inadmissible car c'est leur vie qui est en jeu, sachant qu'une prise en charge correcte de leur maladie mentale par des professionnels plus compétents, mieux formés, plus à l'écoute, aurait pu sans doute endiguer et éviter le pire, dans beaucoup de cas, en leur trouvant une solution médicale et curative.
C'est un regret majeur pour les proches qui ont suivi les parcours chaotiques de ces êtres chers.
Autre évidence:
Il y a cette recherche nécessaire pour tenter de " comprendre " .
Il y a ces dizaines de " pourquoi " qui s'accumulent dans la tête et auxquels on aimerait avoir des réponses.
Des réponses que l'on trouve parfois et qui éclairent la réflexion.
Il y en a d'autres, souvent trop nombreuses qui restent à tout jamais enfouis dans le secret et parfois le " tabou " du suicide...
Cette recherche est indispensable et parfois salvatrice pour ne pas " porter " cette fin suicidaire comme un fardeau insupportable...
La fin.
La fin d'une souffrance immense, invivable, innommable.
Une souffrance qu'ils subissent parfois depuis de nombreuses années.
Une souffrance qu'ils ne pouvaient plus endurer, ne voulaient plus endurer.
Une souffrance qu'il est difficile " d'appréhender " et de comprendre.
Une souffrance morale capable de rendre leur mort plus douce, comme une porte de sortie, comme une délivrance.
Une délivrance pour eux, et folie suprême, ils pensent très souvent que c'est le mieux pour leur entourage qu'ils finissent ainsi, qu'ils cessent d'exister, que leur présence est un poids pour tout le monde, pour tous ceux qu'ils aiment ou qui les aiment.
Ils pensent qu'ils vont nous soulager, nous libérer.
Dans cette situation mentale, ils ont une perception totalement faussée de la réalité. Ils errent dans une réalité qu'on peut résumer en une sorte de " folie du vide ".
Ainsi, parfois, l'amour qu'on leur a porté peut devenir un élément majeur et moteur dans leur choix de mort, à cause de leur souffrance maladive, de la peur d'une séparation, ou d'un abandon possible, fantasmé ou réel.
D'où la culpabilité qui voit le jour et qui consiste à " s'enfermer " dans cette idée-là:
" C'est de ma faute si il ou elle a fait ça, je voulais le ou la quitter ".
"Je suis responsable de son suicide car je ne voulais plus être avec lui ou avec elle. "
Comme si être avec eux ne permettait pas de douter, de subir les " hauts " et les " bas " que toutes les relations humaines traversent.
Comme si il devenait impossible de se séparer d'avec l'autre.
Comme si les aimer un jour ne laissait aucune autre possibilité que de les aimer toujours, pour toujours.
Comme si ceux qui ont partagé une relation amoureuse avec eux devenaient les " prisonniers " de cet amour, à tout jamais...
Autre évidence:
Pour eux, il s'agit d'un renoncement.
LE renoncement à vivre.
Cette vie qui est devenue synonyme de mal-être.
Mal-être de l'âme.
" Souffrance de l'âme ".
" Je ne peux pas ne pas renoncer ", m'a-t-elle écrit ce soir-là...
LA souffrance.
LA souffrance et sa fin.
Une fin qui ne laisse aucune autre option.
Autre évidence: lorsqu'ils ont pris la décision d'en finir, alors rien ne les arrêtent, rien ne peut les arrêter, ni personne.
Sauf s'ils sont sauvés par des circonstances chanceuses...
Et le manque de cette chance-là rajoute de la douleur à notre questionnement avec les fameux "si "...
"Si j'étais arrivé plus tôt ", " si j'avais compris ", " si j'avais su ", " si j'avais téléphoné ", etc...
C'est cela le plus difficile à admettre.
C'est qu'au fond, dans ce moment-là, ce moment où ils décident d'en finir, on est " rien ", face à cette folie destructrice, et que pire encore, l'amour qu'on leur porte ne suffit pas à les maintenir dans " l'envie de vivre ", " le choix de la vie ".
L'attirance vers la mort est plus forte que tout, que nous, que notre amour.
Cet amour pour ceux ou celles qui se suicident n'a pas suffit, ne suffit pas, à les retenir lorsque leur décision est prise.
Une fin qui laisse un état de chaos.
Un chaos morbide d'une violence inouïe faite à eux-mêmes et à leur entourage.
Comment ne pas leur en vouloir de nous avoir fait et de nous faire subir ça ?
Autre évidence:
On leur en veut.
Ils ont été capables de nous faire ce mal-là.
Capables de cette violence envers eux et aussi envers nous.
Nous qui les aimions, nous qui les aimons encore.
Ils sont responsables de ce chaos dans lequel on se débat comme des poissons pris dans un filet, malgré nous.
Un chaos duquel on doit extraire les croûtes et nettoyer les plaies envenimées, encore et encore.
Dernière évidence:
Ce qu'on éprouve est une douleur fracassante qui nous change tous et toutes, à tout jamais.
Une douleur que l'on doit surmonter comme un combat majeur.
Une douleur qui nous transforme.
Je pense que cette expérience nous grandit, malgré tout, et c'est paradoxal, nous rend plus humain, plus fort.
Mon amie, comment te rendre un hommage posthume véritable, si ce n'est en te pardonnant ce choix morbide, en te laissant prendre une place dans mon être...?
Aujourd'hui, je sais que l'on peut s'extirper de ce chaos, lui donner un sens, et même une perspective, une alliance posthume et morale avec l'esprit du défunt.
Niquer cette idée morbide, niquer cette folie, niquer la mort, c'est pardonner.
C'est vivre, encore et encore.
C'est vivre avec l'essence de l'esprit du défunt.
C'est ne pas avoir peur de celui ou de celle que l'on va devenir.
C'est aimer, encore et encore.
Je vis.
Je vis et j'aime...
domi...