Un article intéressant...qui t'aidera à mieux comprendre peut etre et à trouver des ressources.. ailleurs aussi...Comment faire son deuil après le suicide d'un proche?Par Christophe Fauré publié le 07/05/2014 à 16:53, mis à jour le 12/05/2014 à 10:42
Le deuil après le suicide d'un parent, d'un enfant, d'un conjoint ou d'un ami est un deuil à part.
Christophe Fauré, psychiatre auteur d'un livre sur le sujet, explique les conséquences psychologiques de ce deuil traumatique.
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Comment faire son deuil après le suicide d'un proche?
Culpabilité, risque de dépression, colère... Les conséquences psychologiques d'un deuil après le suicide d'un proche sont nombreuses.
Quand tout bascule
Il a tout essayé pour aller mieux, mais il ne voit plus d'autre issue; elle a tenu secret ses problèmes pendant des mois, mais rien ne s'apaise en elle, elle n'a plus d'espoir. Progressivement ou de façon soudaine, la voie du suicide apparaît alors à leurs yeux comme la seule et unique solution pour mettre un terme à leur souffrance. C'est la seule manière de trouver la paix. Néanmoins, happés dans le gouffre de leur propre angoisse, ils ne réalisent pas que cette paix tant recherchée a un terrible prix pour leurs proches: le suicide va en effet plonger parents, enfants, conjoints, amis dans un effroyable tourment qui pourra les engloutir pendant des années -parfois même pendant toute une vie. Cet article aborde, de façon non exhaustive, ces multiples enjeux psychologiques du deuil après suicide.
Un deuil traumatique
Le deuil après un suicide est un deuil à part. C'est avant tout un deuil traumatique. Dans environ 50% des cas, le suicide se déroule au domicile et ce sont les proches -conjoints, parents ou enfants- qui découvrent le corps. Cette découverte effrayante peut induire l'apparition d'un syndrome de stress post-traumatique qui se caractérise notamment par des "flashs" envahissants de la scène initiale et un état de stress chronique où on se sent sans cesse sur le qui-vive, comme si une nouvelle catastrophe allait survenir. Ce syndrome ne part pas de lui-même: il nécessite un traitement spécifique (EMDR) qui ne sera pas développé ici (voir le site
www.emdr-france.org).
La culpabilité
Même si elle est présente dans d'autres deuils, la culpabilité dans le deuil après suicide revêt une intensité considérable chez les proches. Elle est quasiment omniprésente avec de lourdes conséquences psychiques:
La quête du "pourquoi?"
Quasiment aucun proche n'échappe à cette quête: ils lisent encore et encore tous les courriers, mails et messages de la personne disparue, rencontrent ses amis -"Vous a-t-il dit quelque chose? Semblait-elle différente?..."-, élaborent mille et une hypothèses pour tenter de comprendre l'incompréhensible.
Cette quête obsédante du "pourquoi ?" perdure parfois pendant des années, sans jamais totalement s'interrompre. Même si elle semble démesurée aux yeux de l'entourage, elle n'a rien d'anormal. Elle fait partie intégrante du travail de deuil: les personnes directement touchées par le suicide ont besoin de cheminer par elles-mêmes vers l'acceptation du fait qu'elles ne trouveront jamais de réponses définitives. Parvenir à ce difficile constat marque souvent une étape importante dans le déroulement du deuil.
La culpabilité favorise l'émergence de "punitions" que s'inflige plus ou moins consciemment la personne en deuil pour expier ce qu'elle perçoit être sa "faute"
La culpabilité porte étymologiquement l'idée de faute (culpa, en latin). L'idée de faute implique l'idée de punition ou d'expiation. Ainsi, il est très fréquent d'observer, chez la personne en deuil, la mise en place d'interdits qui peuvent considérablement restreindre son champ de vie: elle s'interdit d'être heureuse, ne s'autorise aucun plaisir, aucun succès, aucune gratification. Elle se condamne si elle se surprend à prendre du bon temps -"Je n'ai plus le droit de rire ou de m'amuser, car mon fils/mon conjoint/mon parent... s'est suicidé !"
L'ultime punition qu'une personne en deuil après suicide peut s'infliger est la mort elle-même: "Je veux me suicider: je mérite de mourir à mon tour". C'est un risque non négligeable du deuil après suicide et il justifie en soi une aide psychologique professionnelle s'il est trop prononcé. Ce désir de mort n'est cependant pas univoque: il peut refléter le désir de s'approcher au plus près du ressenti de la personne disparue, afin de mieux comprendre son geste, ou encore le désir de le rejoindre dans la mort.
Un risque dépressif plus important
La personne en deuil après suicide est plus vulnérable à la survenue d'une dépression. En effet, le geste suicidaire entraîne chez les proches une baisse parfois très sévère de l'estime de soi avec une remise en question de la qualité de l'amour qu'ils ont donné à la personne décédée -"Mon amour ne sert à rien; il n'a pas su retenir à la vie la personne que j'aime; il n'a aucune valeur; je n'ai aucune valeur ". Ce désaveu violent nourrit un sentiment d'échec personnel, surtout chez un parent. De plus, le suicide est parfois perçu comme un rejet ou un abandon délibéré de la part de la personne suicidée. Ce ressenti majore toutes les blessures narcissiques et autres carences préexistantes au suicide.
De même, le suicide entraine un vécu de perte de sens plus marqué qu'au cours des autres deuils. Beaucoup de proches en deuil font part d'un sentiment de futilité de l'existence et de perte de repères par rapport à ce qui guidait auparavant leurs choix et leurs décisions. Il peut en résulter, pour certains, l'abandon de projets avec une plus grande difficulté à réinvestir leur existence après le temps du deuil.
Enfin, il est reconnu que le deuil après suicide est un facteur de risque d'augmentation du risque suicidaire chez les proches en deuil. Sans pour autant aller jusqu'au passage à l'acte, il est toujours important d'identifier les "équivalents suicidaires" ou autres comportements à risque auxquels s'expose, plus ou moins consciemment, la personne en deuil avec une réelle ambivalence quant au désir de mort: mise en faillite personnelle, abus d'alcool, de drogues, mise en situations de relatif danger (sports extrêmes, par exemple)... L'identification négative au comportement suicidaire et au destin de la personne suicidée est parfois massive.
La honte et la stigmatisation
En lien direct avec la culpabilité, la honte est un ressenti caractéristique du deuil après suicide, même si toutes les personnes en deuil ne l'éprouvent pas. Elle s'accompagne généralement d'un vécu de stigmatisation sociale. La honte expose notamment à deux complications:
Le sentiment d'indignité qui découle de la honte majore le sentiment de solitude du deuil. De plus, la personne en deuil après un suicide a souvent tendance à s'auto-exclure des réseaux de soutien (qu'ils soient amicaux, associatifs ou professionnels psy) sur la base d'un raisonnement du type: "Je ne suis pas digne d'être aidé. Je ne le mérite pas car moi-même je n'ai pas su aider mon proche en souffrance ". La personne en deuil se plaint et souffre de la pauvreté de son réseau de soutien, alors qu'elle est souvent elle-même à l'origine de cet appauvrissement.
La honte enferme fréquemment la personne en deuil dans le silence: elle n'ose pas parler des circonstances du décès de son proche et elle peut même construire un autre scénario où le décès fait suite à un accident ou à une maladie foudroyante. Ce silence peut se transformer en secret de famille. Il est capital de tout mettre en oeuvre pour en sortir.
La colère
Le suicide fait violence à la personne en deuil et celle-ci riposte souvent à cette violence par la colère. Les cibles de cette colère sont multiples: elle peut se focaliser sur autrui, dans une recherche de boucs émissaires (médecins, psychiatres, collègues de travail, conjoint...) qui pourraient endosser la responsabilité du geste suicidaire. Elle est parfois dirigée contre soi avec une frontière très floue entre colère et culpabilité.
La colère contre la personne disparue est une spécificité du deuil après suicide. Comme le souligne Michel Hanus dans son ouvrage Le deuil après suicide, "la spécificité première de ce deuil est d'avoir été provoqué par celui ou celle dont on est en deuil ". Celui qui tue et celui qui est tué se confondent: que devient alors la haine de la personne en deuil contre le meurtrier qui est en même temps la victime? Cette colère n'est bien sûr pas toujours présente mais elle est parfois niée ou refoulée car il est trop culpabilisant d'être en colère contre quelqu'un qui s'est infligé une telle violence.
Le soulagement et l'ambivalence
Il est parfois difficile pour certains proches en deuil de reconnaître, en plus de la peine, un certain soulagement après le suicide. Dans des situations extrêmes de perturbations majeures du quotidien -alcoolisme sévère, comportements chaotiques de la personne suicidaires avec tentatives de suicide à répétition mettant en danger l'équilibre familial, hospitalisations multiples en psychiatrie, fugues...-, le suicide est perçu comme la fin d'un calvaire, tant pour la personne disparue que pour ses proches. Ce constat est néanmoins extrêmement difficile à admettre. L'accompagnement du deuil aide à mettre des mots sur cette douloureuse ambivalence.
Un vécu de peur et d'anxiété
De nombreuses personnes en deuil après le suicide d'un proche font part de l'ébranlement de leur sentiment de sécurité fondamentale à exister dans le monde.
Beaucoup de proches reconnaissent vivre dans la peur d'un nouveau suicide dans leur entourage. Ils redoutent un nouveau décès ou une nouvelle catastrophe. Ils font part d'un vécu d'angoisse, d'insécurité où tout devient imprévisible. Celi est source d'une plus grande fragilité et d'une plus grande vulnérabilité face à l'existence.
Lorsque le compagnon ou la compagne s'est suicidé(e), certains conjoints en deuil parlent d'une méfiance à aimer à nouveau ou d'une peur à s'engager à nouveau dans un lien qui pourrait potentiellement être source de souffrance, si le nouveau conjoint venait lui/elle aussi à se suicider. Même si la plupart des personnes sont conscientes de l'irrationalité de ces peurs, elles font néanmoins obstacle à de nouveaux engagements et investissements affectifs et peuvent freiner le retour à une vie affective apaisée.
Les parents en deuil après le suicide d'un des leurs enfants sont confrontés à un sévère remise en question de l'éducation prodiguée à l'enfant disparu. Happés par la peur que tout recommence et qu'un de leurs enfants passent lui aussi à l'acte, certains oscillent entre une rigidification de leur cadre éducatif, s'ils estiment avoir été laxistes auparavant ou, à l'inverse, un assouplissement de ce cadre s'ils sont convaincus avoir exercé une trop grande rigueur sur l'enfant disparu.
Quel devenir pour une personne en deuil après suicide?
Si vous êtes en deuil après le suicide d'un de vos proches, ce que vous venez de lire peut vous effrayer. Une question s'impose alors: vais-je m'en sortir? Pourrais-je jamais être heureux/se à nouveau? La réponse est oui, mais le chemin de votre deuil sera long et ardu. Il s'étalera très souvent sur plusieurs années mais la souffrance finira par s'apaiser, même si on sait qu'il ne disparaitra jamais totalement.
Je vous invite à relire mon article précédent sur les étapes du processus de deuil pour évaluer où vous en êtes. Mon expérience de plus de 20 ans d'accompagnement des personnes en deuil -et notamment en deuil après suicide- me permet de vous affirmer qu'il y a toujours une lueur au bout du chemin, même si cela vous semble impossible à concevoir aujourd'hui. Mais cela ne se fera qu'à la mesure de l'aide que vous accepterez de vous donner et de recevoir d'autrui: le deuil après un suicide a en effet besoin d'être soigneusement accompagné. Une personne en deuil après le suicide d'un proche a besoin d'aide, même si elle n'en reconnaît pas la nécessité.
La plupart du temps, votre entourage familial et amical suffira à vous apporter le soutien nécessaire, mais, si les manifestations du deuil se font trop pénibles à supporter, il vous sera peut être utile de vous tourner vers un professionnel -psychiatre ou psychologue- ayant une bonne connaissance du processus de deuil. Ce thérapeute sera notamment en mesure d'évaluer l'impact post-traumatique du suicide et d'identifier une possible décompensation dépressive.
Pensez aussi à l'aide associative: les associations d'accompagnement du deuil font un remarquable travail: Vivre son deuil -
www.vivresondeuil.asso.fr, Phare Enfants Parents -
www.phare.org, Jonathan Pierres Vivantes -
www.anjpv.asso.fr et bien d'autres. Beaucoup proposent des groupes de paroles et des suivis individuels.
Je vous le promets: un jour surviendra où vous serez plus en paix, dans un indéfectible et indestructible lien de coeur avec la personne que vous avez perdue.
Le Dr Christophe Fauré est psychiatre-psychothérapeute en pratique libérale à Paris. Il est auteur de nombreux ouvrages chez Albin Michel, dont Vivre le deuil au jour le jour et Après le suicide d'un proche.
En savoir plus sur
http://www.lexpress.fr/styles/psycho/comment-faire-son-deuil-apres-le-suicide-d-un-proche_1536290.html#Hj6ZE3d3dlkCjwvT.9