Bonjour à tous,
Me voici nouvelle sur ce site sur lequel des amis m'ont dirigé, et je les en remercie. Même si les circonstances sont éprouvantes, il est bon d'échanger avec vous qui êtes concernés.... Tous vos témoignages me bouleversent et m'interpellent : je me retrouve en chacun de vous, et je suis en totale compréhension avec vous.
Nous avons perdu notre fils, Hugues, 27 ans, au mois d'avril. Il vivait dans une aile de la maison, travaillait dans l'entretien des jardins, aimait son métier, était très apprécié de ses employeurs pour son sérieux et le respect qu'il leur montrait, et était passionné par le travail du bois (comme son père, mais plus sur le plan artistique), avait des amis très proches, et 3 soeurs, dont la dernière, qui était comme deux doigts de la main avec lui (elle vit avec son meilleur ami depuis 6 ans).
Le soir de sa mort, sa soeur l'a ramené en voiture, car il ne se sentait pas bien : il l'a embrassé (fait rare) et a pleuré. Alertée, elle lui a proposé de rester dormir chez lui, ce qu'il a refusé. Je ne peux m'empêcher d'imaginer la préméditation, et cela me broit le coeur. C'est toujours sa soeur qui m'a alerté le lendemain matin, croyant qu'il était levé depuis longtemps. J'ai tout de suite compris que qq chose n'allait pas...
Le lendemain, nous avons eu droit à la police criminelle, pompiers, ambulance, mais surtout, suspection d'avoir "assassiné" notre fils (un élément ne concordait pas avec un suicide). Je ne l'ai pas revu, si ce n'est dans une housse scellée, pour être autopsié... Je ne sais pas si je voulais le revoir, mais ne lui ai pas dit "au revoir"....
Mon mari et moi n'avons rien vu venir, car, comme de nombreux témoignages le confirment, nos enfants, fragilisés pour diverses raisons se gardent bien de nous le montrer. Hugues a eu une adolescence très agitée, alcool, drogues légères, conflits avec nous. A 21 ans, lors d'une discussion tardive, il m'a expliqué que tout ce qu'il "nous" avait fait enduré (comme je le croyais), c'était en fait contre lui qu'il agissait. .. Cela m'a ouvert les yeux, et rendu attentive à lui, même adulte. Nos relations étaient douces, mais nous n'osions rien aborder de majeur (était-il heureux ?), car nous avions peur de sa réponse. Il ne s'est jamais remis de son 1er amour de 17 ans, et cela a brisé sa confiance en lui, et anéanti l'estime de soi.... D'autres faits ont dû intervenir en plus.
Ces 6 dernières années, son père et lui avait restauré une relation de confiance et d'admiration mutuelle : ce qui me semble primordial au sein d'une famille, surtout seul garçon au milieu de 3 filles (en N° 3...), bien "dans leurs baskets". Petit déjà, il se mettait en marge de la famille, puis ne se laissait plus approcher (peu d'embrassades ou de démonstrations d'affection). Nous pensions la partie gagnée, mais avons été prétentieux...
C'est moi qui l'ai retrouvé dans sa chambre, lourde de solitude et de désespoir : il me faut apprivoiser cette image. J'ai tout de suite consenti à son départ, me suis jurée de ne pas sombrer exagéremment dans la culpabilité, ni les reproches envers qui que ce soit, sauf la vie, le destin..., ne l'ayant jamais lâché, tout en le laissant libre de ses actes : il était adulte.
Ma 2sde fille s'est mariée 5 semaines plus tard : nous avions décidé de nous propulser dans la vie, et cela a été une journée extraordinaire, même si nos coeurs étaient broyés, et que je pensais de jamais arriver à faire face (nous avons des amis exceptionnels qui ont été là, sans relâche, dans l'humain, le spirituel, mais aussi le matériel) : mais nous le devions à notre fille et son mari.
Ce que j'aimerais dire, c'est que je ne m'inquiète enfin plus pour lui, et sa petite soeur aussi, qui l'a exprimé courageusement le jour de son enterrement (où se trouvaient plus de 300 pers., dont certaines ont témoigné de ses qualités de droiture). Mon mari et moi n'avons pas versé une larme : étions dans un état second et voulions préserver nos filles, gendres et petits fils, et aussi l'assemblée, déjà bouleversée et torturée pour nous. Je n'ai vu personne, et suis incapable de me souvenir des visages. C'était ma manière de me protéger contre cette douleur inhumaine et récurrente.
Aujourd'hui, je suis plus sereine, croyant fortement à un "après". Je sais qu'Hugues (bien que non croyant, mais en recherche de perfection) est enfin heureux et libéré de ses souffrances terrestres, que notre amour n'a pas suffi à atténuer... Je suis sûre qu'il est en paix, et comme me demandent certaines personnes... n'ai rien à lui pardonner, mais si je suis dans l'incompréhension.Comme le dit Ch. Fauré, il faut accepter de ne pas avoir de réponse...
Depuis l'automne dernier, j'avais participé à un Parcours Alpha, qui a pour but de réunir des laïques pendant 10 semaines, pour débattre en toute tolérance de sujets humains et spirituels, et qui crée un groupe venant de tous horizons. J'ai accepté un 2sd, peu avant la mort d'Hugues, en tant qu'encadrante, totalement séduite par la force des liens qui se créaient à chaque fois : bienveillance, compréhension, compassion et amitié étaient là, autour d'un dîner, entre des personnes qui ne se seraient ni regardé, ni parlé dans d'autres circonstances.. Pas de jugement. Je viens de suivre une formation à Paris, et ai l'intention de continuer dans ce sens, heureuse de témoigner de mon expérience, sans tomber dans la victimisation. Hugues m'aide sur ce chemin, lui à qui il est arrivé, lorsque nous étions absents, d'accueillir un SDF pour dormir à la maison... Il n'avais pas d'à priori, et allait au-delà des apparences.
Il est vrai que j'ai été longue dans ce premier message, mais ai été aussi très attentive à beaucoup des vôtres, et vous incite à l'apaisement, et à la reconstruction de vous-mêmes, plus forts et en croissance continuelle. Nous devons sortir grandis de cette épreuve, pour nos disparus, et aussi pour ceux qui restent et ont besoin de nous, et enfin parce que la vie n'aurait plus de sens autrement. Mon seul mot d'ordre est "APPRIVOISER" cette autre vie qui nous attend...
Je vous embrasse tous fort.