Je vais écrire quelque chose d'un peu dur, je m'en excuse par avance ... j'espère surtout ne blesser personne, j'ai besoin de l'écrire parce que je sens ce cri immense monter en moi ... c'est une pensée que j'ai depuis toujours, depuis que je suis enfant ...
"Rien n'est plus égoïste que le suicide"
Ado, je me sentais extrêmement malheureuse, je trouvais la vie insupportable, et j'ai espéré qu'elle s'arrête, encore et encore. J'ai évidemment beaucoup pensé au suicide, mais j'ai toujours considéré que le suicide était l'acte le plus égoïste qui puisse exister : car il fait peser une culpabilité ingérable, monstrueuse, interminable à nos proches. Ca peut simplement détruire définitivement une personne, surtout une personne sensible, elle peut ne jamais s'en remettre et vivre jusqu'à la fin de sa vie dans une souffrance encore bien plus grande que celui qui s'est suicidé. Selon des études, cette culpabilité dure même 2 générations, c'est un poids réel, immense, disproportionné. J'ai donc toujours refusé de l'envisager, pas pour moi, car cela aurait été un soulagement, mais pour les autres. J'avais imaginé des montagnes de choses, et ce qui m'avait semblé le "mieux" (mais j'étais enfant donc je ne savais pas ce qui était possible) aurait été d'échanger mon sang (sain) contre celui d'une personne mourante, faire un échange de vie/mort en quelque sorte.
Que ma souffrance soit trop insupportable pour vivre, vouloir arrêter de vivre pour que la souffrance s'arrête, c'est un ressenti légitime bien sûr, mais selon moi rien ne justifie de la faire porter à d'autres personnes, et encore moins à ceux qu'on aime (si on les aime vraiment). En tout cas, tant qu'on n'a pas (1) vraiment tout, mais absolument tout, essayé pour guérir cette souffrance (multiples thérapies sur de longues périodes, etc) et (2) exprimé aux personnes les plus proches cette souffrance et le sentiment d'impuissance et d'insupportabilité. Chez moi, il y a une colère fondamentale, je crois, contre les personnes qui se suicident. Rien n'est plus égoïste que le suicide, selon moi.
Je comprends bien sûr cette souffrance tellement insupportable qu'on serait prêt à faire n'importe quoi pour qu'elle s'arrête. Je comprends qu'il puisse y avoir un moment où elle est encore plus insupportable au point de tout brouiller dans notre tête et de nous faire oublier ceux qu'on aime, quitte à leur "gâcher le reste de leur vie". Mais rien n'est plus égoïste que le suicide, selon moi.
Dans le cadre de l'association Exit, je peux comprendre. La décision a été mûrement réfléchie, la situation est réellement et concrètement désespérée. Elle a été partagée avec les proches, reconnue comme irréversible et sans espoir. Les proches sont inclus dans la réflexion et le cheminement. Leur culpabilité est donc prise en compte, travaillée, « soignée », atténuée.
Pour moi, le suicide, cet acte d'un grand égoïsme doit légitimement générer de la colère, une très grande colère. C'est une grosse faille dans la "gentillesse", la résurgence en force de la part d'ombre qui témoigne de l'"humanité", des limites du suicidé. De son égoïsme, très grand. Tout est toujours une question d'équilibre, je crois. Autant qu'aie pu être gentille, pendant sa vie, une personne qui s'est suicidée, autant son acte aura fait du mal. La balance revient à un point neutre. Je trouve qu’on ne peut plus dire qu’elle était gentille. La balance est revenue à zéro.
Bien sûr, notre corps nous appartient et nous sommes libres d'en faire ce que nous voulons. Même d'arrêter de vivre. Même de se suicider. Et nous ne devons rien aux autres. Finalement, on pourrait se dire que si les autres souffrent de notre suicide, ça leur appartient, c'est à eux d'apprendre à gérer leur culpabilité.
Il me semble pourtant que le suicide exprime malheureusement souvent le message suivant : "regardez comme j’ai souffert ». Sinon pourquoi ne pas simplement disparaître ou déguiser son acte en accident ?
Parfois même, implicitement, la suite du message est : « et bien voilà, maintenant, c'est vous qui allez souffrir" (sous entendu : vous ne m’avez pas compris, vous ne m’avez pas aidé, c’est de votre faute si j’ai tellement souffert). Un ultime message de détresse, qui laisse l'autre impuissant, définitivement impuissant, et dans une souffrance encore bien plus grande. C’est presque condamner l’autre à vivre l’enfer sur terre, toute sa vie.
Je crois que c'est un fait avéré, une constatation, le suicide d'un proche génère toujours une immense souffrance et une immense culpabilité. Je crois que la colère est plus que légitime, elle est même nécessaire. Aussi magnifique, doux, généreux qu’il ait pu être. La colère n’empêche pas l’amour, bien au contraire, la colère est la preuve de l’amour qu’on a éprouvé pour celui qui est parti. Il n’était pas parfait, non, pas du tout, il était simplement humain. On l’aimait tel qu’il était, avec sa part d’ombre, sa part d’égoïsme. On l’aimait vraiment, humain et fragile, en entier, enfin on l’aimait autant qu’on pouvait, nous-même avec nos limites et nos fragilités, de tout notre cœur imparfait