Ton témoignage me parle beaucoup.
J'interviens peu ici et je pense que chacun a sa propre façon " d'avancer " dans ce drame qu'est la perte d'un être cher, et que donc, si on peut se "servir " de l'expérience des autres, on ne peut cependant pas tout identifier.
Chaque cas est particulier.
Pourquoi, écrire ici, alors ?
Essentiellement parce que je retrouve ici une histoire qui ressemble étrangement à la mienne, et aussi des mots posés dans lesquels je retrouve, et c'est assez troublant, 90% de mon ressenti...
Bref, je pense opportun de faire une sorte de " point " sur mon expérience personnelle, afin, peut-être, de donner des " tuyaux " à ceux qui écrivent ici.
Tout d'abord:
La perte est un séisme, c'est clair, une déflagration, un choc mental, un coup de point qui laisse groggy.
On est dans le coma, un autre monde, comme suspendu.
Mais il faut participer aux funérailles, croiser la famille du suicidé, les regards, et surtout ce qu'on croit y percevoir.
On est seul avec son chagrin.
La famille, les amis tentent de dire les bons mots avec le bon ton.
On écoute, on parle parfois, on a besoin d'exprimer, de pleurer devant ces personnes, d'exposer son chagrin au grand jour.
On a besoin de compassion.
On culpabilise.
Les remords, le mélange explosif des regrets et de la culpabilité est comme une explosion mentale.
" J'aurai du ".
" Je n'ai pas "
" Je l'ai tuée "
" C'est ma faute ", etc...
Les images du dernier contact reviennent et font mal...
Bref, l'ambiance est à l'auto-flagellation.
Puis vient l'envie de comprendre, comprendre ce qui c'est passé, pourquoi ?
Je mène alors une sorte d'enquête policière au cours de laquelle je rencontre ses amis, certains membres de sa famille, des ex, etc.
Je commence à rassembler des clefs qui m'ouvrent une réalité à laquelle je n'étais pas conscient.
Elle était malade, elle a déjà tenter de se suicider, son cheminement dans la vie était chaotique, elle souffrait.
Souffrir, oui mais de quoi ?
D'un état d'âme pesant.
Hyper-sensible, elle a traversé son enfance dans la douleur, l'incompréhension des proches.
Un no man's land sentimental où ses parents, dans l'incapacité de comprendre leur enfant, regarde sa différence comme un handicap.
Elle est malade, certes, mais d'une maladie particulière, elle est borderline.
Elle ressent les choses avec plus d'ampleur et de force que personne, l'amour, la haine, le plaisir, la joie, la peur, l'abandon et face à ces sentiments, pour elle, tout est décuplé, amplifié.
Elle a besoin d'être aimée, beaucoup plus que la moyenne des enfants, parce que sans amour elle s'étiole à petit feu, elle souffre. Beaucoup.
Et cet amour ne viendra pas de sa famille.
Elle comprendra, à l'âge de l'adolescence, que ses parents ne peuvent l'aider efficacement, ne peuvent l'aimer suffisamment, ne peuvent la sauver.
Elle est seule face à sa déchirure.
C'est une profonde souffrance qui lui ouvrira les portes d'une fin suicidaire.
À partir de ce constat, elle quittera cet univers qui ne lui aura pas permis de faire face aux aléas de la vie, aux aléas que chacun de nous traverse un jour ou l'autre.
Elle vivotera au gré de ses humeurs, de cette envie d'en finir, de sa difficulté à entretenir une relation amoureuse et sensible avec quelqu'un.
Elle souffrira de cette incapacité de vivre avec ce besoin d'amour insatisfait.
Un besoin d'amour grandiose, sans limite, incontrôlable.
Prenant et pesant pour son entourage qui l'apprécie, l'aime et parfois ressent la faille qu'elle porte en elle.
Un entourage qui ne peut ni comprendre, ni imaginer ce qu'elle endure.
Admettant qu'elle ne peut vivre cet amour, qu'en fait personne n'est en capacité de lui en donner suffisamment, sa souffrance et des événements délicats de sa vie lui ouvrent la porte du suicide.
Elle prend cette porte et la referme mal, derrière elle.
Elle a été sauvée. Temporairement.
Mais rien n'est réglé.
On l'a détecte " paranoïaque ".
On lui dit, elle doit suivre un traitement qu'elle abandonnera plus tard...
Ses parents savent aussi.
Psy, médecins et traitements ne règlent pas le problème fondamental.
Rien n'est réglé.
Cet amour, ce besoin irrépressible de recevoir un amour complet, immense, complexe est toujours présent.
Elle se mure alors dans le silence, les non-dits, le mensonge.
Qui peut comprendre ?
Qui peut l'aider ?
Qui peut vivre aux côtés de quelqu'un qui souffre de cette pathologie ?
Le dire n'est-elle pas la meilleure manière de faire peur et de briser une relation amoureuse ou amicale ?
Elle comprend qu'elle n'a pas le choix. Le silence sur son état est la seule façon de faire, de vivre .
Ces maladies font peur, c'est ainsi. On les tait.
Alors elle tait et vit, tant bien que mal, avec ce syndrome.
Et je l'ai rencontrée.
Nous nous sommes aimés très vite. Beaucoup.
Un état de grâce fait de sorties, de voyages, de plaisirs, d'amour.
Un soir, nous avons vu une pièce de théâtre ensemble, une pièce de Montaigne: " Parce que c'était moi, parce que c'était lui ".
Elle l'avait beaucoup aimée.
Nous avions échangé sur ce sujet. La rencontre de l'autre, et cette évidence qui précède une relation qui donne sens à sa vie, ou à sa mort....
Oui, il n'y a pas de hasard dans ce domaine, parce que c'était elle et parce que c'était moi, nous nous sommes aimés fortement, viscéralement. Et sans cet amour qui s'est imposé à nous, elle n'aurait pas choisi sa fin tragique, ce soir-là.
C'est évident.
Ce qui est évident, aussi, c'est que personne et moi pas plus que quiconque n'était en mesure de lui donner ce dont elle avait besoin.
Un amour entier, sans faille, sans doutes. Un amour impossible.
L'aimer comme je l'ai aimée, comme un être humain, c'était lui faire comprendre que ce dont elle avait besoin n'était en fait qu'un rêve impossible, que son amour allait au delà du possible, que personne ne pouvait lui donner ça, même ceux qu'elle aimait plus que tout.
Je l'ai aimée.
Aujourd'hui, ai-je besoin de me disculper, de regretter ?
J'ai compris qu'elle était " bordeline", concept ressent qui résume une personnalité, sa personnalité.
J'ai su alors qu'approximativement 30-40% des suicides sont commis par des individus avec des troubles de la personnalité, et que 10% d'entres-eux mettent fin à leur jour.
J'ai compris aussi les tabous qui pèsent sur le suicide, les maladies psychiques.
J'ai compris que j'ai été nul, comme beaucoup de personnes, par rapport à ce phénomène et à quel point ces tabous pèsent sur notre façon d'appréhender le suicide.
Au delà, de ses non-dits et ses mensonges, j'ai été incapable de comprendre ce qu'elle ressentait au fond d'elle, malgré l'amour que je lui portais, et je n'ai su imaginer jusqu'où elle pouvait aller.
Et puis vient l'idée que je l'ai accompagnée, à travers notre relation, vers son destin, sa mort.
Et qu'au fond cette fin douloureuse lui appartenait. C'était sa vie, son corps ( que j'aimais tant et qui me manque autant que ses sourires... ), et que ni moi ni personne n'était en mesure de contrarier ce choix morbide.
Je ne pouvais rien pour elle.
Elle avait franchi un palier et était entrée dans un monde que seuls les personnes qui ont tenté de se suicider connaissent. Un monde où rien ne compte plus que d'en finir.
En finir avec la souffrance, quoi qu'il en coûte.
À ce stade de son parcours de vie, notre rencontre a catalysé sa réaction face à son mal-être, lui ouvrant, lorsque cette relation a vacillé, cette fameuse porte suicidaire.
Comme un accident de la route, on peut toujours refaire le film, en se disant que si on était parti 30 secondes plus tard ou plus tôt, l'accident n'aurait pas eu lieu, cela ne sert à rien. L'accident se justifie à lui seul, il est là, le mal est fait.
Il faut l'admettre et je l'ai admis.
" Je ne peux pas ne pas renoncer ", m'a-t-elle écrit ce soir-là...
Elle a renoncé à vivre, renoncer à se confronter à un espace-temps dans lequel l'amour ne peut être dans l'excellence 24 heures sur 24.
Sa souffrance, lui a ouvert la porte de sa fin, qu'elle a refermée derrière elle, à tout jamais...
Oui, ok, je n'ai pas été à la hauteur d'un tel être humain hors du commun, un être fait de chair et d'os, un être aux besoins d'amour immense, en proie à des conflits et une souffrance interne incommensurable.
Et alors ?
Je l'ai aimé comme j'ai pu, beaucoup. Moi aussi, j'ai un passé, des Ecchymoses personnelles.
Je suis comme je suis.
Je n'ai rien à me reprocher.
Je ne suis pas coupable, ni responsable de sa souffrance, sa maladie, son choix.
Objectivement, sauf à vouloir continuer mon auto-flagellation, je ne suis pas responsable de son suicide.
J'ai fait ce qui me semblait bien, avec ce que j'étais, avec qui j'étais.
Oui, je lui pardonne son choix.
Oui, je me pardonne.
Oui elle me manque.
Oui, elle était unique.
Et alors ?
Devais-je me cantonner dans cet évidence ?
Ne sommes-nous pas tous unique ?
Mon amour était sincère.
Je n'ai pas de regrets à avoir.
Non, je ne me reproche pas sa mort.
J'aime, je rencontre, je fais l'amour, je vis.
J'aime la vie...
Voilà, j'en suis là, entre pardon et envie de vivre une vie si merveilleuse.
Oui, la vie est un bonheur, avec elle, elle l'a été, sans elle, elle l'est aussi...
domi...