Auteur Sujet: Moi qui aimait tant le matin  (Lu 6349 fois)

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marie-o

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Moi qui aimait tant le matin
« le: 19 mai 2012 à 18:11:48 »
J'aimai tant le matin , une nouvelle journée à vivre, quelle joie!
Les matins à venir n'auront plus jamais la même qualité, la même pureté
Je me réveille seule, la première image sur ma rétine, c'est le corps de mon mari pendu, son visage sans expression, son regard sans vie,quand je l'ai trouvé ce matin du 1er février 2012
Je  revis  mille fois le film de ce matin:je me réveille, je me sens bien, tiens Michel est déjà levé, pas un bruit dans la maison
Je traîne un peu, Michel allait mieux depuis hier
Il a sombré dans une dépression brutale et intense le 15 janvier
Le 7 janvier, il faisait des plans pour le pavillon que nous venions d'acheter
le 15 , il voulait le revendre," nous allions droit dans le mur" disait il. alors que nous avions plus que pesé le pour et le contre, le possible ou non, le financement, aucun souci, tout était cadré. c'était lui qui était à l'initiative de ce projet, un petit pavillon avec une belle vue, un terrain arboré, un ensoleillement exceptionnel, un sentiment de liberté et d'évasion,
Il a vu entre le 15/1 et le 1/2 trois fois notre généraliste, une psychologue. le 31 janvier notre généraliste l'a convaincu de voir un psychiatre et d'y aller directement ce qu'il a fait. Quand la secrétaire lui a proposé un rendez-vous pour un mois plus tard, il lui a dit que ce n'était pas possible, elle a posé la question au psy qui lui a donné rendez vous pour le lendemain 21 heures
J'ai travaillé toute la journée, le soir il avait une meilleure voix il semblait aller mieux, je suis sortie au théatre avec des amies,  c'était prévu de longue dâte. Quand je suis rentrée nous avons parlé, notre aîné lui avait demandé de lui apprendre à fabriquer une table, c'était un beau projet.
Je lui avait demandé que, s'il se réveillait et s'il avait du mal à rester calme pour se rendormir, de se lever et de dormir dans une autre chambre car depuis 15 jours il avait un sommeil très difficile  et  il pertubait beaucoup le mien qui dort peu et léger.
Je me lève une demi-heure plus tard que d'habitude , il est 7 heures 35, le séjour est tout éclairé, j'appelle Michel, je m'approche de l'ex chambre des enfants qui est aussi éclairée et, là , je le vois, pendu après la rampe en fer forgé de ses mains avec une rallonge électrique. Je mets le mode automatique, je m'approche de lui, le noeud coulant est trop serré, par chance j'arrive à défaire le noeud sur la rampe ,je défais le noeud coulant, massage cardiaque, appel des secours, massage cardiaque, ouverture des portes, massage cardiaque, réveil de mon cadet , je voulais qu'il apprenne par moi et non par la voiture des pompiers ce qui venait d'arriver, massage cardiaque, arrivée du samu
Mon aîné a vu son père avant de partir travailler, il est parti 1/4 d'heure plus tôt que d'habitude,( il a manqué si peu pour empêcher cela). Ils se sont parlés, mon mari ne dormait pas depuis 2 heures du matin,  Michel s'est habillé, a mis son blouson, "je suis certaine qu'il s'apprêtait à aller acheter le pain pour notre petit déjeuner" et que s'est-il passé? Un flash de folie de souffrance insoutenable et il n'a trouvé que ce geste pour la stopper. Nous ne saurons jamais, nous devons apprendre à vivre avec...nous nous poserons sans doute longtemps la question pourquoi ? Je me demande si Michel avait pu être réanimé, s il aurait eu la réponse ...
 Je reste persuadée que si la pensée de ses enfants l'avait traversé un millième de seconde, il serait toujours parmi nous. Rien n'était prémédité , nous n'avons pas trouvé de mot, rien .Il a pris ce qu'il a vu la rallonge électrique de mon fer à repasser . Des cordes d'escalade se trouvaient dans un sac dans le séjour et il n'aurait pas fait ce geste dans l'ex chambre de ses enfants qu'il aimait par dessus tout.
Voilà c'est fait, j'ai raconté, j'ai écrit ce moment où notre vie a basculé.
Et je ressens encore et toujours cette sensation de ne rien ressentir,  de me regarder vivre.
Marie-O


cello59

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Re : Moi qui aimait tant le matin
« Réponse #1 le: 19 mai 2012 à 18:40:01 »
Bonsoir "marie-o",

Ton récit est bouleversant, et je ne parviens pas à trouver les mots qui puissent répondre à l'intense douleur que tu exprimes.
Je ressens ce récit "violent" comme une forme d'exorcisme qui te libère quelque peu de tant de douleurs accumulées et contenues. Comme si la digue sautait brutalement!

Tout simplement, mes pensées sont avec toi, car j'ai en mémoire les "leçons de vie" que tu nous apportais dans de précédents messages.

Très cordialement.   Daniel

Hors ligne Méduse

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Re : Moi qui aimait tant le matin
« Réponse #2 le: 19 mai 2012 à 19:53:53 »
Chère Marie-O,
Oui, c’est bouleversant, ce moment où ta vie a basculé. J’espère que tu as d’autres personnes à qui tu peux parler de ce moment pour « user » ce souvenir terrifiant. Moi, j’avais besoin d’en parler pendant un long moment. Grâce à des personnes qui m’écoutaient patiemment, j’arrive maintenant à penser à autre chose, mais j’ai aussi plus de recul que toi puisque ma fille ainée a mis fin à ses jours le 26 février 2011 et que mon mari est décédé d’un AVC le 27 septembre 2011 (je lui ai fait du massage cardiaque également et il avait recommencé à respirer, il respirait encore quand les secours sont arrivés et je pensais qu’ils allaient pouvoir le sauver). Tout me semble toujours si irréel, plus maintenant encore où ma seconde fille et moi, nous avons repris un nouveau quotidien, que nous nous éloignons de plus en plus de notre ancienne vie et nous ancrons davantage dans la nouvelle.
Ma fille m’avait dit en décembre qu’elle devait lutter tous les jours pour ne pas se jeter sous une voiture. Cette pulsion de mort doit être un appel de la mort terriblement puissant.
Je te souhaite que toi et tes fils, vous arriverez à retrouver la paix.
Affectueusement

Hors ligne rosel

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Re : Moi qui aimait tant le matin
« Réponse #3 le: 20 mai 2012 à 19:24:42 »
marie-o
Accrochez vous Marie-o-
Ici, vous pouvez parler de tout ce que vous ressentez,
Mon titi a fait pareil, et tout plein de projet aussi, avant
Courage courage courage
Amicalement
rosel

Mélie

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Re : Moi qui aimait tant le matin
« Réponse #4 le: 21 mai 2012 à 10:37:06 »
je suis émue par votre témoignage qui fait écho à mon vécu sauf que c'est mon fils qui a fait ce geste en octobre 2010, autant vous dire que nous ne comprendrons jamais totalement ce qui se passe dans la tête de quelqu'un qui passe à l'acte, alors que tout peut sembler surmontable, comme votre compagnon il luttait contre une dépression brutale,causé par des soucis familiaux et une maison qu'il construisait de ses mains, et après un suivi médiocre de la part de psys, il était lui aussi papa...on croit que cela peu-être un frein et on est faussement rassuré ....
on ne comprend la dépression que quand soit même on est submergé....
et l'on s'en veut de ne pas avoir pu ou su retenir celui qu'on aimait....
à la fois je me dis " il aurait suffit de peu pour que la vie reprenne du sens pour celui qui veut en finir...".mais notre impuissance est là, déchirante, torturante.....
je vous souhaite de pouvoir surmonter ce drame, vos enfants quel âge ont-ils ?
toute ma sympathie