Ce jour là……Lundi 18 novembre 2013 , un jour maudit…J’ai travaillé , jusqu’à 21h , une journée « comme les autres » ,j’ai encadré une stagiaire du mieux que je pouvais , je me suis occupée de « mes » petits vieux comme tu disais….Et je n’ai rien pressenti , rien ressenti….Au moment ou tu te donnais la mort je mangeais un mc do dans la voiture avec Pauline avant d’aller bosser , il pleuvait , on s’était calées sur un parking , elle était contente , on était bien….Après le boulot je suis allée la chercher , discuté un peu avec la nounou , puis on est rentrées , comme d’habitude . Je me suis garée , on est montées à l’appartement , pris Salsa pour la sortir , redescendues dans le jardin….J’ai vu courir la chienne vers quelqu’un , il faisait nuit . Je l’ai rappelée , elle ne revenait pas , je me suis avancée , Pauline dans les bras avec son paquet de shokobons….et là j’ai vu papa . Papa tout seul , en bas de chez moi en pleine semaine , à cette heure là….J’ai tout de suite compris , même si je voulais pas , même si je voulais qu’il me dise « c’est grave mais il y a encore un espoir… » Mais non , tu n’es même pas allée à l’hôpital , il n’y a eu aucun espoir….Je lui ai demandé « quoi ? qu’est ce qu’il se passe ? » Il ne me répondait pas …. « Mais quoi ? Qu’est ce qu’il y a ? » « Ta maman s’est suicidée…. » Je n’ai même pas hurlé , je ne me suis même pas écroulée , j’ai réagi comme un robot . On est remontée à l’appartement prendre quelques affaires , Pauline me demandait « qu’est ce qu’il y a maman ? C’est pas grave…. » « Si c’est grave ma chérie , on ne reverra plus mimi…. » « Non c’est pas grave maman , elle est partie faire des courses, c’est pas grave ! » C’est fou comme les enfants perçoivent les choses et comme les rôles sont inversés dans de telles situations , plus tard elle me répétera 10 fois « mais non maman , c’est pas ta faute ! » ……
Le trajet en voiture pour nous ramener chez « nous » , 2h….2h de chaos , je ne réalise pas ,j’ai besoin d’appeler les gens , de les prévenir pour « concrétiser » ce que je vis. Je ne comprend plus rien… Le monde vient de s’écrouler , pourquoi je reste en vie ? C’est pas possible , c’est un cauchemar….Les dernières paroles , les derniers instants ensemble me reviennent , je commence à chercher ce que j’ai pu louper , je reste persuadée que je viens de tuer ma propre mère , par omission , par négligence , par la façon dont je me suis agacée lors de notre dernier coup de fil , par le fait de ne pas l’avoir rappelée ensuite , de m’être dit que j’avais le « temps »….J’allais le faire le lendemain , mon jour de repos….Quelle conne , mais quelle conne !!!! Je le savais pourtant qu’il ne faut jamais rester sur un « malentendu » avec ceux que l’on aime , j’ai vraiment failli la rappeler ce soir là et puis….Pauline dans le bain , fatiguée , extenuée , un week end de boulot en perspective….Jamais je ne me le pardonnerai…Je ne sais pas si ça aurait changé quelque chose pour toi maman 3 jours après , je ne le saurai jamais , mais j’aurais au moins pu te dire que je t’aimais , que je pensais à toi , que j’étais désolée de m’être un peu énervée….J’aurais pu aussi percevoir quelque chose dans ta voix , peut être , on aurait pu en discuter , j’aurais peut être trouvé les mots qui auraient su te retenir , j’aurais pu , j’aurais du…si j’avais su…. Et puis on est arrivés à la maison , il y avait Antoine , Noémie , on s’est pris dans les bras tous les 4, serrés un long moment tous ensemble….Tu « reposais » dans la chambre , les 1ers instants j’ai refusé de te voir , j’avais peur que tu sois abîmée , j’avais peur de voir l’horreur que tu t’étais infligée . Et puis ca a été plus fort que moi , j’ai ouvert la porte . Tu étais là ,allongée sur un « lit » qui faisait un bruit d’aération , belle comme à ton habitude , « on » t’avait mis un foulard autour du cou et à part ta lèvre un peu abîmée à la commissure je n’ai rien vu …. « je t’aime maman » , voila ce que je t’ai dis , et je t’ai embrassée . Tu étais si froide déjà….Noemie couchait Pauline dans la chambre juste en face , je l’ai regardée , hébétée . Notre vie venait de basculer dans le cauchemar , un cauchemar sans nom qui n’en finit pas de durer , on a pris perpet’ ce jour là . Je ne sais pas si on s’en sortira , on survit . Pour Pauline et Nina , nos enfants , tes petites filles . On se maintient à la surface pour elles , on ne se laisse pas couler . Mais on est brisés , anéantis , co-responsables de ta mort , d’un meurtre….Depuis ce jour là maman tu es ma 1ere pensée du matin et la dernière avant de m’endormir , ton geste me hante , je ne cesse de chercher l’explication , la « faille » , même si je sais bien que je ne pourrais jamais avoir de certitudes , jamais comprendre , jamais savoir ce qu’il aurait fallu pour éviter cet instant . Sûrement si peu de choses…C’est tellement bête , tellement absurde , ce geste parait avoir tout d’impulsif, rien de réfléchi ni de prémédité….Alors nous voila veuf et orphelins maintenant , maman , tous amputés du meilleur de nous . Et je ne sais pas la suite , je n’ai plus les mots pour décrire ce marasme quotidien dans lequel nous sommes plongés. Je cherche des signes mais je ne perçois rien , que le vide , le néant , le «pour toujours » et le « plus jamais ».
Ce jour là….
« La vie change vite.
La vie change dans l’instant.
On s’apprete à diner et la vie telle qu’on la connaît s’arrete.
La question de l’apitoiement... » ( Joan Didion)