Auteur Sujet: Un long "après"  (Lu 17774 fois)

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France

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Un long "après"
« le: 24 janvier 2010 à 09:18:27 »
Bonjour!
Mon second fils s'est suicidé il y a 7 ans après plusieurs mois de grave dépression. Un jour, il m'a écrit "pardonne-moi, je sais que c'est injuste mais je n'en peux plus..." et il est parti. La fin d'un monde de soucis quotidiens entrecoupés de joies et de rires sans arrière-pensées, de légèreté.  Le début d'un autre où on m'a beaucoup parlé de "faire mon deuil" et même de deuil patholgique.
Faire le deuil de son enfant, quel que soit son âge quand il est parti, quelle que soit la cause de son départ, est une expression qui me paraît encore surréaliste aujourd'hui. C'est vrai, je ne pleure plus quand, ayant égaré mes clés, je vais chercher les siennes dans sa boîte à trésors, mais  je ne peux toujours pas ravaler mes larmes quand je revis l'époque de sa souffrance où je voyais, impuissante, se rompre peu à peu les liens avec ceux qu'il aimait tant.  J'ai appris l'utilité du masque à refixer chaque matin, j'ai appris à rire avec le coeur lourd, pour ceux que j'aime et pour les indifférents. C'est difficile d'apprendre à vivre sans lui et avec mon nouveau moi, les codes, les repères, il faut tout construire. Pourtant, à côté de ce défi à relever tous les jours, il y a des moments   de sérénité quand je le sens près de moi, presqu'à le toucher, des moments où il me répond d'une façon si précise et si inattendue que j'en ris de contentement, de plénitude retrouvée. C'est une petite lumière au bout du tunnel ce lien d'amour qui, lui, n'est pas rompu.

mariej

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Re : Un long "après"
« Réponse #1 le: 26 janvier 2010 à 10:27:38 »
Bonjour,
Moi aussi mon fils s'est suicidé à 31 ans, il était le second, il laisse une grande soeur et un jeune frère qui n'ont toujours pas compris, comme nous ses parents. Rien ne laissait supposer son geste, il ne laissait rien paraitre des angoisses qui le rongeaient. Il a beaucoup semé dans sa vie, auprès de ses nombreux copains il était celui qui remonte le moral, anime les soirées, toujours prêt à bouger; révolté par les injustices de ce monde toujours aux côtés des petits, des enfants par son travail d'animateur dans les quartiers difficiles de la région parisienne, son engagement auprès des sans papiers, des anti pubs..... Il était partout sauf peut être à penser un peu à lui, prendre le temps de se ressourcer, mais à 30 ans ce ne sont pas des choses auxquelles on pense ! !
En tout cas voilà 15 mois qu'il nous a quittés, la vie n'a plus le même goût, tout est fracassé, dévasté, nous avons pris une bombe en pleine figure ! Au début l'entourage a été très proche, maintenant comme on nous le dit souvent"la vie continue", oui mais ce n'est plus la même, je me sens "à côté", "seule", bien sûr au quotidien j'assure mon boulot, je fais belle figure, je vois bien que pour les autres ça dérange d'être triste, on veut oublier le deuil terrible que nous avons à vivre et qui nous marque pour le reste de notre vie !
J'epère que le temps adoucira un peu le chagrin, car par moments j'ai tellement mal moralement, physiquement (je ne pensais pas que le corps pouvait tant souffrir de chagrin, et pourtant je suis infirmière!!!) que je me demande si je vais pouvoir résister longtemp. On me dit que je trouverai la paix quand j'aurai accepté son geste, pour le moment j'en suis incapable, je lui en veux de nous avoir quittés aussi brutalement, pourtant dans son courrier très gentil, il dit que ça lui fait mal de nous quitter sans dire aurevoir, qu'il nous aime beaucoup, mais qu'il n'en peut plus de la vie ! Je veux bien l'entendre mais je ne peux pas accepter pour le moment. Il a laissé un tel vide pour moi, mais aussi pour mon mari, mes enfants, la famille, ses amis, ses copains, ses collègues....
Que c'est dur ! Je viens sur ce site pour essayer de comprendre un peu ce chambardement dans ma vie, je me fais aider aussi mais malgré tout quelle douleur insupportable, omniprésente ! Comment faire pour vivre avec cette absence omniprésente ?

mariej

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Re : Un long "après"
« Réponse #2 le: 27 janvier 2010 à 09:38:16 »
Merci pour votre réponse,
Je vais acheter ce numéro de Psychologies, je suis toujours à la recherche de ce qui peut m'aider et aussi aider mes enfants et mon mari. Je me fais du souci pour mon plus jeune fils avec qui il est difficile de parler de son frère, il a 4 ans de moins et son frère était son modèle, il a du chagrin mais en parle très peu, par ma fille je sais qu'il est très en colère après son frère. Par son attitude j'ai l'impression qu'il veut nous éviter de porter son chagrin en plus du notre, il nous demande toujours comment nous allons mais reste évasif quand on lui demande la même chose. Il vit loin de nous et je ne sais pas si nous pouvons l'aider!
c'est déjà tellement difficile de faire face à son propre chagrin ! Mon fils décédé avait un tel impact sur son entourage par sa bonne humeur et son entrain, et son très fort sens des relations sociales, que dans les semaines qui ont suivi sa mort j'ai eu très peur que d'autres aient envie de faire comme lui, maintenant je crains un peu moins, mais ce n'est pas définitevement parti, car je vois que pour moi c'est un tel vide, un tel manque, un tel bouleversement intérieur , quelques fois l'envie d'en finir est là mais je me raccroche à la vie car je suis une bonne vivante et je  suis entourée, mais ce n'est pas le cas pour tout le monde!
Encore merci pour votre site et le soutien qu'on peut y trouver
J'ai lu le livre de C.Fauré "vivre après le suicide d'un proche" après le décès de mon fils, il éclaire sur notre propre ressenti , aide à mettre des mots sur ce que l'on vit et surtout permet d'envisager un mieux après un long temps......

France

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Re : Un long "après"
« Réponse #3 le: 04 février 2010 à 14:11:33 »
Bonjour Mariej,

Très émue par votre message. j'ai eu l'impression que vous décriviez mon fils, parti à 35 ans.  Il s'occupait d'enfants handicapés mentaux, avec tant de tendresse et d'amitié, et était entourés de copains mal dans leur peau qu'il remorquait sans se décourager. Des enfants et puis des adultes hypersensibles, idéalistes, toujours en guerre contre l'injustice, souvent trop "mangés" par les autres. Il avait, paradoxalement, épousé un monument d'égoïsme qui n'a pas supporté sa porte toujours ouverte. Et lui, il n'a pas supporté de ne pas voir grandir sa fille au jour le jour.

Très émue par ce que vous êtes en train de vivre. Je me souviens toujours de cette douleur qui me déchirait la poitrine, et aussi le ventre. Je n'avais jamais non plus imaginé que pleurer d'aussi profond pouvait faire mal à ce point. Mais le corps s'habitue et petit à petit, pleurer fait moins mal. On s'habitue aussi à vivre avec effort, pour les autres vivants si mal eux aussi. Ce sont mes petites -filles qui m'ont permis de ne jamais arrêter de parler de lui, dès le début. La petite de 6 ans me demandait souvent "Tu vas pleurer si je te raconte tonton Loïc?" Et moi, je promettais de ne pas pleurer et, de souvenirs en souvenirs, je riais avec elle, comme s'il était là.
Et puis, je me suis "organisée": pour les autres, c'était  la journée où j'essayais de vivre comme avant et la nuit pour Loïc.  Je sais que jamais plus ce ne sera le bonheur d'avant, qu'un jour si je deviens gâteuse, je risque de surprendre les autres en conversant avec Loïc comme s'il était là. En attendant, nous avons une vie à nous deux, complices. Je vais mieux depuis que j'ai pris conscience que nous faisions toujours équipe. Ce n'est pas très vieux, il y a seulement quelques mois.
Oublier, redevenir celle qu'on était, jamais, mais vivre avec celle qu'on est devenue et s'apaiser c'est possible.
Inutile de vous parler de courage, vous en avez à revendre et vous continuez à avoir peur pour vos autres enfants (je crois que c'est ainsi qu'on sait qu'on les aime encore autant!  ;)). 
Je vous embrasse,
France.

mariej

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Re : Un long "après"
« Réponse #4 le: 04 février 2010 à 15:42:25 »
Bonjour France,

Merci pour votre message, il me va droit au coeur, il me fait beaucoup de bien. En le lisant je me suis dit "enfin une qui peut comprende ce que je ressens, ce que je vis..." car c'est tellement difficile de mettre des mots sur cette douleur lancinante, toujours présente et prête à exploser au moindre déclic. Perdre un enfant est une telle déchirure !

Samuel était seul et n'a pas eu d'enfant, il ne laisse personne derrière lui, on pourrait penser tant mieux, car il ne laisse pas d'enfant qui le pleure, mais moi je pense que c'est dommage car sa vie continuerait un peu .... Il a eu une vie tellement riche, beaucoup de personne nous ont dit qu'il avait vécu en 30 ans plus que d'autres en beaucoup plus de temps ! Mais peu importe il n'est plus là et il me manque cruellement. Mes deux autres enfants sont loin et souffrent eux aussi, et je pense que ce n'est pas à eux de consoler leurs parents, ils ont assez à faire avec leur propre chagrin. J'ai moi-même perdu mon père quand j'avais 8 ans (accident de voiture) j'étais l'ainée de 4 enfants, et on m'a fait jouer le rôle de la grande qui s'occupe de sa mère, c'est beaucoup trop lourd pour un enfants et même en devenant adulte c'est un rôle que je trouve trop lourd, insupporatable, son principal inconvénient étant qu'à jouer le rôle de protecteur du parent on se retrouve presque sans parent !

Je continue ma vie en m'appuyant sur mon mari, quelques amis qui peuvent comprendre et être aidants ainsi que quelques memebres de la famille, j'ai aussi un travail qui me plait beaucoup et qui me permet de penser à autre chose dans la journée, mais dès que je monte dans ma voiture pour rentrer Samuel est là, je pense à lui, j'écoute la musique qu'il aimait et j'ai l'impression qu'il est avec moi, ça me fait du bien avant de rentrer à la maison. Mon mari est lui aussi avec son chagrin et ce n'est pas facile tous les jours de se consoler l'un l'autre;

Je vous laisse France, car il faut que j'aille travailler.
Je vous embrasse
Marije

France

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Re : Un long "après"
« Réponse #5 le: 08 février 2010 à 11:13:47 »
oui, marij, c'est si difficile pour les frères et soeurs. Ils ne sont pas entourés dès le début comme le sont les parents, la maman surtout. On téléphonait à mon fils aîné pour lui demander de mes nouvelles, disant "je n'ose pas lui téléphoner, dis lui que je pense à elle" . Ca voulait dire "à toi, j'ose téléphoner parce que tu ne souffres pas trop". Pourtant, elle est lourde la souffrance d'un frère qui vient de perdre son alter ego, son complice, son réservoir à souvenirs, ceux que les parents n'ont pas partagés, celui qu'on a souvent jalousé, et puis, qui vient aussi de perdre les parents qu'il a toujours connus: ils sont là mais plus les mêmes. Lourde aussi du geste que l'autre a osé. Le "je n'ai rien vu venir" est encore plus culpabilisant. Mon grand n'a jamais voulu admettre que son frère pouvait partir ainsi, m'accusant d'en faire trop pour lui. Après, il n'a jamais parlé de ses sentiments. Pour m'épargner ? Parce qu'il n'avait pas de mots ? Parce qu'il pensait que la colère et la jalousie n'étaient pas des sentiments convenables?( ma mère aurait-elle pleuré autant si c'était moi qui étais parti ?). Je ne sais qu'une chose, c'est qu'il n'est toujours pas bien et qu'il a enkysté tout cela.  Et puis, il y a aussi de ma faute, je pense. Quand je parlais d'eux, quand je les appelais, je disais "les garçons", comme s'ils n'avaient qu'une identité pour deux (ils avaient 11 mois de différence) et lui tout seul, il ne pouvait plus être "les garçons". J'ai mis longtemps à arrêter de pleurer "mes garçons" et à le redécouvrir, lui. Quel fouillis, la famille après un tel départ!