Auteur Sujet: "- Comment vas-tu ? - Pas le moral"  (Lu 6650 fois)

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Hors ligne Lt-Dan

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"- Comment vas-tu ? - Pas le moral"
« le: 11 août 2019 à 19:23:31 »
Bonjour,

Cela fait un moment que je lis quelques posts sur ce forum. L'homme de ma vie, avec qui j'ai passé 9 ans et avec qui j'allais me marier le mois d'après, s'est suicidé le 8 mai 2018. J'ai echappé au statut de veuf, mais dans mon esprit c'est tout comme. Mon anniversaire est le 9 mai, je suis censé soufflé ma 32e bougie et un drame me frappe. Un vrai. Pas une simple emmerde de la vie quotidienne.

La douleur commence légèrement à refluer, et le besoin se fait sentir d'écrire pour exorciser tous les sentiments que j'ai éprouvés. Le titre est légèrement provocateur, je n'ai pas l'habitude de mentir, à chaque fois qu'on me demandait si ca allait et que ca n'allait pas, bah je le disais. A quoi bon faire semblant. J'espère que mon récit servira à d'autres qui traversent le même processus. Je sais que c'est long, et il est important d'être guidé pour savoir si on est sur le bon chemin ou si on s'égare. J'écrirai de temps en temps, quand j'en ressentirai le besoin.
Dominique était fortement dépressif. Depuis 5 ans il enchaînait les hospitalisations, les crises d'angoisse, etc ...

8 mai 2018, je rentre du travail à 18h. Je ne suis pas tranquille, je sais qu'il va mal et cela fait depuis ce midi que je n'ai aucune nouvelle de lui. Je l'appelle, je lui envoie des messages. Il doit être en train de dormir me dis-je. Whatsapp indique "vu à 12h58".
Je rentre, j'ouvre la porte, je le découvre pendu dans l'escalier. Je compris immédiatement qu'il avait tenté de se suicider. L'humain est plein d'espoir, "peut-être cela fait simplement 2mn, je vais essayer de le sauver" me dis-je. Il ne se balance pas, a priori cela fait bien plus que 2mn. Je tente de le décrocher, je l'engueule "qu'est-ce que t'es con d'avoir fait ca !" je crois encore qu'il est vivant, que je vais le sortir de là. Je le soulève, tente de défaire le noeud mais un corps c'est lourd et je le lâche. Sa nuque encaisse le choc. S'il n'est pas mort, il l'est maintenant me dis-je. Je continue à essayer de trouver une solution pour le décrocher, je garde la tête froide. Je le pousse vers l'escalier, et met son pied dessus. Cela me donne assez de mou pour détendre la ceinture et défaire le noeud. Il tombe, le choc est sourd, tellement particulier qu'il résonne encore dans mes oreilles. Je comprends qu'il est mort. Une drôle de pensée surgit : il semble soulagé. Je ne l'ai jamais vu aussi serein, au moins aura-t-il trouvé la paix désormais. C'est la fin de son cauchemar et désormais le début du mien.

Je me retrouve avec le cadavre de Dominique. Je peux appeler le SAMU mais il m'est insupportable de rester avec son corps. Je décide alors de courir à la police. Je préviens avec fracas des membres de sa famille ainsi que de la mienne. Mes grands parents et mon oncle arrive en 10mn au commissariat. J'apprendrai plus tard que  mon état fut qualifié de "panique avancée" par les policiers, s'attendait-il sérieusement à ce que j'arrive zen après cette scène ? Ils appellent même une ambulance pour m'emmener à l'hôpital sans me demander mon avis.
Avant de partir, je leur demande au moins quelques affaires et de récupérer mon chien resté dans l'appartement. "Non" me disent-ils, ma grand-mère insiste. "OK, on le garde au poste". Ils sont sérieux ? Que vont-ils faire d'un chihuahua ? Pensent-ils l'interroger ? Elle a forcément assister à la scène, mais je ne suis pas certain qu'elle soit très loquace. Ils acceptent au final de me la rendre avec quelques vêtements. Ils ont bien compris que je ne voulais pas entraver leur enquête, que je ne suis probablement pas coupable d'un homicide, et que je souhaite simplement garder un minimum de dignité.

L'ambulance m'amène à l'hôpital. Un psychiatre me voit quasi immédiatement. Je lui raconte, il pleure avec moi. Scène comique si elle n'était pas réelle, en même temps,
que pouvait faire ce médecin ? Pourquoi m'avoir mis dans cette ambulance pour m'emmener à l'hôpital ? Cela doit être le protocole.

Me voilà dehors entouré de ma mère, mon oncle, mes grands parents et Nikita, ma chienne. Chacun se dispute pour que j'aille chez lui, les rancœurs entre eux refont vite surface. Je tranche : je veux aller chez ma mère. Rien ne semble réel, j'ai l'impression d'être dans un cauchemar et que je n'arrive pas à me réveiller. Ma mère me dit, cinglante : c'est la réalité.
Ce matin je me levais au côté de Dominique, il dormait encore. Je l'embrassais à 7h en lui disant 'j' ai donné à manger au chien'. Mes dernières paroles avec l'homme qui a partagé 9 ans de ma vie, avec qui j'allais me marier et avec qui je me voyais vieillir. Et me voilà le soir, hébété par le choc, ne réalisant pas vraiment ce qui m'arrive. Je ne savais pas que mon psychisme humain mettait en place à mon insu tout un processus me permettant de me relever.
Je n'ai pas un grand souvenir de cette soirée, nous avons beaucoup discuté et vers 0h tout le monde est parti. Je suis resté un peu avec ma mère et aux alentours de 1h je suis monté au lit. J'ai pris un PC et pendant 1h j'ai effectué des recherches sur google sur le thème 'se remettre du suicide de son mari'. Vers 2h, exténué, je me suis endormi.

J'ai été réveillé par un SMS. Clara, une collègue avec qui je prenais le RER de 7h13 tous les matins depuis 5 ans, me demande où je suis. C'était jour férié, nous nous étions préparé à trouver un autre train et à faire le trajet ensemble. 'où es tu' me demande t elle? 'mon amie s' est suicidée' (elle ne savait pas que j'étais gay, je maintenais une barrière très étanche entre ma vie pro et perso) lui répondis je. Elle me répond 'je pense à toi et je t' aime'. Une grande amitié allait naître, j'allais quitter cet emploi pour un autre et maintenir le contact avec elle. Elle m'avouera plus tard qu'elle avait pleuré tout le trajet



Hors ligne emi

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Re : "- Comment vas-tu ? - Pas le moral"
« Réponse #1 le: 11 août 2019 à 23:32:36 »
Je lis juste ton récit... Ton cauchemar plus tôt...
Je revois mes premiers mois de deuil en te lisant et je comprends quand tu parles du psychisme qui t'as sauvé. Inconsciemment c'est aussi ce quia m'a permis de tenir les premiers temps. Un instinct de survie que je ne connaissais pas.
J'espère que tu es un peu plus en paix aujourd'hui.

Hors ligne Lt-Dan

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Re : "- Comment vas-tu ? - Pas le moral"
« Réponse #2 le: 16 août 2019 à 02:23:21 »

Je n'ai pas un souvenir très détaillé des premiers jours. Le lendemain, je suis resté une bonne heure dans le lit. Une idée prenait forme dans mon esprit : le rejoindre. Je n'ai jamais imaginé le suicide, je le pensais comme une faiblesse, une démission face à la dureté de la vie. Et voilà que cette pensée surgit dans ma chair. C'était comme un ver dans mon cerveau qui, petit à petit, l'envahissait. Je sentais cette chose le ronger lentement. Il est possible que si j'avais eu un simple bouton à actionner pour mourir je l'aurais actionné, mais heureusement se suicider n'est pas si facile. J'ai commencé à comprendre que le suicide est en fait la seule solution qu'une personne imagine quand la douleur devient trop forte.
Je décide de me lever, et d'aller chez mes grands parents. Ils habitent en face de ma mère. On passe un moment autour d'un café. Je reçois énormément de coups de téléphone et de messages. Certains pour mon anniversaire et d'autres de personnes ayant eu la nouvelle de la mort de Dominique. Je commence à appeler des amis pour leur annoncer.
 Et je raconte tout, dans les moindres détails. Je n'ai pris aucune précaution, aucun gant, pour leur décrire la scène. J'ai besoin d'exorciser cette violence reçue. Un jour, mon père entendant la conversation me prit le coude et me dit choqué : "arrête, ce que tu racontes est très violent". A ce moment j'ai pris conscience que je décrivais l'horreur. Alors j'ai coupé la conversation. Un peu plus tard je me suis dis : ce que je rapporte est affreux, certes ; mais moi j'ai vécu cela, ce n'est pas qu'une histoire et si je veux pouvoir survivre il faut absolument que je sorte cette violence. Alors j'ai continué à tout relater. Sans filtre. Les premières fois je tombais en larmes à chaque coup de téléphone. Puis, au fur et à mesure, je ne me mettais plus à pleurer immédiatement et au bout d'une semaine je racontais tout cela d'une manière très froide. Je compris plus tard que j'avais refoulé les éléments les plus durs, et qu'ils allaient ressurgir 6 mois plus tard. Le psychisme encore une fois ...
En tout cas, tout raconter, encore et encore m'a fait du bien, et c'est le principal.
A 14h j'avais rendez vous au commissariat. J'y suis allé avec mes parents. J'ai tout raconté à l'officier, de toute façon je n'avais rien à cacher. Toutes les années de dépression, et surtout la journée précédent son suicide.
Le matin du 7 mai, Dominique se réveille très mal. Je décide donc de l'amener dans le centre d'urgence psychiatrique habilité à l'interner. Dominique était bien connu de cet endroit. Je me présente à l'accueil et demande à ce qu'un médecin voit Dominique de manière urgente. On me répond qu'il n'y en a pas, mais qu'il y a une infirmière. Je réponds que je n'ai rien contre les infirmières, mais que rien ne remplace un médecin. J'insiste. On nous dit d'attendre pendant 1h30. J'installe Dominique sur un banc, et on attend. Au bout d'1h30, un médecin se présente et reçoit Dominique. La consultation dure 30mn, et Dominique ressort. Je suis un peu surpris, je voulais qu'il le garde et l'interne. J'avais le sentiment que la crise d'angoisse de Dominique était différente. Alors on rentre. Vers les 17h, voyant que Dominique était au plus mal, j'appelle SOS Psychiatrie. On m'a peomis qu'un médecin allait me rappeler. Il ne l'a jamais fait. Le soir du 7 mai je m'etais dit, si demain ca va pas mieux, je l'amène à Sainte-Anne et je mentirai sur son adresse pour qu'il soit pris en charge là-bas, on l'avait déjà fait. Demain c'était trop tard.
Étrangement je n'ai jamais eu de culpabilité. J'aurais pu l'amener à l'hôpital psychiatrique le soir même, mais le lendemain je travaillais et je me levais tôt. J'étais comme tout un chacun, fatigué et je voulais être en forme pour le lendemain. Puis surtout, je n'imaginais pas que l'homme que j'aimais puisse se suicider. Je ne savais pas que c'était possible. Personnellement, je n'ai jamais réfléchi à comment me tuer et j'en serai bien incapable. Je ne savais pas que Dominique y pensait depuis plus de 20 ans et que le scenario était déjà bien en place.
Quand j'ai raconté tout cela à l'officier il me dit 'j'en ai vu peu aller aussi loin que vous'. Mes parents me disent que je peux être fier de moi. Ca m'a touché et en écrivant ces lignes, les larmes me viennent. Dernière question : êtes-vous prêt à prendre en charges les obsèques ? Ce mot m'a transpercé, on organisait notre mariage et voilà qu'on me parle d'obsèques. Evidemment je réponds oui.
Je signe ma déposition et récupère les clés de chez moi.