La notion de réincarnation est populaire pour plusieurs raisons : d’abord il semble que certains individus qui nuisent aux autres par leur comportement ne souffrent pas du tout ; c’est une forme d’injustice, il faudrait donc qu’il y ait une vie future pour que ces gens puissent en quelque sorte payer en échange du mal qu’ils ont commis.
L’autre raison c’est que la durée de la vie terrestre est trop courte pour à elle seule décider de l’éternité. Nous vivons 50, 60 , 70 ans seulement et nous voudrions avoir d’autres possibilités pour réussir à être en harmonie avec Dieu, pour prouver que nous sommes capables de vivre mieux.
Une autre raison c’est la peur du néant. Si ce corps disparaissait, recommencer dans un autre corps plus sain, ce serait comme de changer de vêtement. Il faut donc qu’il y ait d’autres vies pour continuer et ainsi la notion de réincarnation est très réconfortante et elle prend racine en Occident.
A cause du film de Bertolucci (Little Bouddha) les gens pensent de plus en plus à la réincarnation. Une chose amusante est qu’en Asie on n’aime pas tellement l’idée de réincarnation parce qu’on voudrait plutôt que la roue de l’existence cesse et avec elle le cycle des souffrances. Mais en Occident, il semble que l’on aime cette idée. Il y a donc une différence de mentalité entre l’Occident et l’Orient. C’est un fait que l’idée de réincarnation avec la notion de continuation qu’elle implique est actuellement très populaire.
Au cours du troisième siècle après J.C. un théologien catholique du nom de Origen a enseigné la préexistence de l’âme avant son entrée dans le corps. Il s’agit donc d’incarnation et non de réincarnation. Il semble que cette idée soit très proche de l’autre parce que si vous êtes incarné une fois il est possible que vous le soyez une autre fois. En 540 environ Origen a été condamné par le concile de Constantinople à cause de cette idée.
La notion de résurrection est proche de celle de réincarnation. Qu’est-ce qui doit être ressuscité sinon le corps? Donc nous pouvons utiliser la notion de réincarnation. Lorsque le corps est restauré l’âme entrera à nouveau dans le corps. D’après les enseignements du Jugement Dernier chacun doit retrouver son corps ressuscité et c’est bien une réincarnation. Il est difficile de dire qu’il n’y a pas de réincarnation dans le christianisme. Certains théologiens chrétiens disent que pour inclure la notion de réincarnation il faudrait modifier de nombreux enseignements à l’intérieur même du christianisme. Nous ne sommes pas sûr de cela parce que les éléments de réincarnation sont vraiment là dans les enseignements du christianisme.
Nous voulons tous savoir ce qui va arriver après notre mort et nous nous révoltons tous contre l’idée que nous devons mourir. C’est pourquoi l’idée de réincarnation est très importante pour nous. Devons-nous continuer ou pas après la mort ? et où et quand ?
Nous savons que les humains ne peuvent pas être heureux s’ils ne croient pas en quelque chose. La foi est importante, mais la foi c’est quelque chose de vivant, c’est comme l’amour, la haine, le désespoir, c’est une formation mentale. C’est une chose vivante et tout ce qui est vivant change. Votre foi c’est quelque chose de vivant qui doit changer au cours du temps, qui doit grandir comme un arbre. La foi qui était la vôtre quand vous aviez dix ans n’est plus là. Que vous soyez chrétien, musulman, marxiste, bouddhiste ; la foi est quelque chose qui doit changer tout le temps : il faut accepter ce fait. L’avantage de l’étude et de la pratique du bouddhisme, c’est qu’on nous rappelle constamment que tout change y compris notre foi, la foi est une chose vivante.
Alors que vous continuez à vivre, votre foi grandit. C’est la même chose dans toutes les traditions spirituelles et nous ne devons pas craindre l’arrivée d’un changement dans notre façon de croire. En fait, lorsque les choses arrêtent de se développer, la vie devient impossible. D’une part, nous savons que sans foi nous ne pouvons pas vivre, nous ne pouvons pas être heureux. D’autre part, nous savons que la foi est quelque chose qui change. Il y a donc le risque de perdre votre foi et dans ce cas vous devenez une sorte de fantôme affamé.
C’est pourquoi notre attitude vis-à-vis de la foi est très importante. Nous devons prendre soin de notre croyance, de notre foi, d’une façon très sage, de sorte que notre foi se développe dans la direction qui nous apportera plus de paix et de joie.
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Ré-in-carnation : "carn", c’est la chair. L’idée consiste en ce qu’il y ait une âme, un corps et l’âme pénètre dans le corps. Dans les philosophies orientales on n’utilise pas le mot réincarnation mais le mot renaissance, parce que la notion de réincarnation implique l’existence d’une âme immortelle qui entre et sort du corps et entre à nouveau dans un autre corps. Il n’existe rien de tel que cette âme immortelle qui sort d’un corps pour entrer dans un autre. L’utilisation du mot renaissance est perçue comme quelque chose d’inadéquat parce que le mot naissance représente quelque chose qui n’existe pas vraiment si nous sommes capables de toucher la réalité de la non-naissance et de la non-mort.
Etre né veut dire qu’à partir de rien on devient quelque chose et que de quelque chose on devient rien lorsque l’on meurt. J’existe pendant tant d’années et tout d’un coup je cesse d’exister. C’est la notion habituelle de mort et de naissance. Observant ce qui nous entoure nous voyons que rien ne fonctionne ainsi.
Il y a une fleur et nous pensions que c’est quelque chose qui vient de rien. Mais avant sa naissance la fleur existe sous une autre forme. Dans le bouddhisme nous pouvons transcender la notion de naissance et de mort et nous utilisons le mot de remanifestation. La naissance de la fleur c’est un jour de remanifestation. La fleur était donc déjà là sous une certaine forme mais nous n’étions pas capable de la reconnaître. Vishnapti veut dire se manifester de façon à ce que les gens reconnaissent et perçoivent. L’idée de manifestation implique l’idée d’une manifestation antérieure. Cette chose est toujours là. Si les conditions sont suffisantes cette chose peut à nouveau se manifester. Et, lorsque nous voyons les choses se manifester, nous disons qu’elles sont nées mais en fait elles ne sont pas nées, elles se manifestent. Parce qu’être né c’est à partir de rien. Donc il y a eu quelque chose avant qu’il y ait manifestation.
Les notions de naissance, d’existence, de venir, de paraître sont des notions que nous appliquons à une chose après qu’elle se soit manifestée. Avant la manifestation de cette fleur nous ne la voyons pas. Nous disons : la fleur n’est pas encore née. Lorsqu’elle se manifeste nous disons : la fleur est née, elle est arrivée. Etre né, être arrivé, c’est s’être manifesté et lorsque la fleur à cause d’un manque de conditions nécessaires arrête de se manifester nous disons qu’elle n’est plus. Donc toutes nos notions comme la naissance, la mort, l’être, le non-être , venir, partir, toutes ces notions doivent être transcendées. La réalité est en dehors de ces notions. Lorsque nous étudions le bouddhisme et pratiquons le regard profond nous nous libérons de toutes ces idées. Nous avons toujours une croyance et elle est de plus en plus solide et personne ne peut nous l’enlever, parce que notre croyance n’est pas faite de notions mais de la réalité.
Au début on peut croire à la réincarnation et grâce à cette croyance vous avez l’impression d’être sur un chemin, mais lorsque vous commencez à pratiquer votre idée sur la réincarnation change. Au début vous avez l’idée de cette âme immortelle qui entre dans un corps et qui en sort pour entrer dans un autre. Mais, comme vous observez profondément à l’intérieur et à l’extérieur vous comprenez que cette notion est un peu naïve. Donc vous transcendez cette notion et ainsi votre foi se développe. Comme la croissance de votre foi est basée sur l’observation véritable, vous avez toujours votre croyance et elle continue à vous apporter de la joie, vous savez que même si votre croyance change demain, vous n’aurez pas peur parce que vous approchez de plus en plus la réalité. Il n’y a aucun risque de ne plus avoir de croyance parce que vous avez décidé d’être un avec la réalité. Si vous décidez de vous attacher à un concept vous risquez de douter et alors, vous allez plonger dans la nuit de la non-croyance et c’est un moment très difficile dans une vie.
Les deux dimensions sont une. Vous ne pouvez pas imaginer la dimension ultime distincte de la dimension historique. C’est comme les vagues et l’eau. Les vagues vues à la surface de l’océan représentent la dimension historique mais la substance qui crée la vague, c’est l’eau et bien que les vagues semblent avoir un début, une fin, un haut et un bas, l’eau dans les vagues ne peut pas être décrite par ces caractéristiques.
La dimension ultime ne dépend pas des signes, des notions d’existence, de non-existence, de l’aller et du venir. Nous savons que l’eau et les vagues sont unes et nous ne pouvons pas séparer l’une de l’autre. La dimension historique est une avec la dimension ultime. Si vous savez toucher les vagues profondément, vous pouvez toucher l’eau. Si vous savez toucher profondément le monde de la naissance et de la mort, de l’aller et du venir, vous pouvez toucher le monde de la non-naissance et de la non- mort, du non-aller et venir. C’est cela, notre pratique de chaque jour. II faut vivre votre vie de telle façon que vous puissiez toucher la dimension ultime plusieurs fois par jour, sinon tout le temps.
Supposez que vous regardiez ce pot de fleurs. Si vous êtes en Pleine Conscience, et il y a des façons d’être en Pleine conscience comme par exemple respirer, s’incliner profondément devant la fleur. Tout d’un coup la fleur se révèle à vous : la fleur est une manifestation et nous même sommes une manifestation. Les fleurs représentent tout le cosmos, l’infini, dans le temps et dans l’espace et nous aussi.
Si vous continuez à être là, à observer alors vous pouvez toucher la dimension ultime de la fleur et vous touchez votre propre dimension ultime. A ce moment vous pouvez vous établir dans la dimension ultime, libéré des notions de naissance et de mort, d’aller et de venir, d’être et de non être.
Vous ne voyez pas seulement la présence de la fleur comme une chose merveilleuse mais aussi la manifestation de vous-même comme une chose merveilleuse. Selon votre regard profond vous toucherez plus ou moins profondément la dimension ultime de la fleur et de vous-même. La médiatation nous offre le genre de pratique qui peut nous aider à toucher la dimension ultime.
Thich Nat Hanh
Un flot de paroles de paix qui saurait exprimer plus que le silence, pour en finir avec les théories.
Bonne journée