Auteur Sujet: J'ai vécu de... rage.  (Lu 10607 fois)

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Max

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J'ai vécu de... rage.
« le: 21 mai 2013 à 21:29:24 »
Orphelin de père, j'ai vécu avec ma mère. Ce n'était pas toujours facile, l'argent ne coulait pas vraiment à flot et elle avait le vice de l'alcool. Je me suis construit comme ça, dans la peur... la peur de voir son état quand je rentrais de l'école. La peur de ramener des amis à la maison, la peur de la trouver effondrée...
J'ai toujours du être adulte, aussi loin que je m'en souvienne. Je n'ai que de rares bons souvenirs de mon enfance.

Elle est tombée malade aux alentours de mes 17 ans. Elle le cachait au début... par peur des répercussions financières... par pudeur aussi peut être. Elle nous a toujours dit (à mon frère et moi), que ça irait... que le traitement agissait, que ça passerait...
Entre temps, un mal pour un bien... elle ne supportait plus l'alcool. Je l'ai "découverte" à ce moment là, lucide.

Je passais mon temps entre mon petit boulot, la fac de médecine (en première année) et m'occuper d'elle. Mon frère me relayait, dans une situation à peu près identique. Toujours à tirer le diable par la queue pour les finances mais en lui offrant tout ce qu'on pouvait.

Je l'ai vu dépérir pendant deux ans. Des images de sa maigreur m'on hanté pendant des années. De sa douleur. Son calvaire.
J'ai tellement de regrets... de choses que j'ai oublié de dire. De chose que je n'ai pas eu le courage de faire, comme la serrer fort dans mes bras.

Lors des visites à l’hôpital, je me mordais l'intérieur de la joue pour ne pas pleurer. Je suis resté des heures là bas, même en ne pouvant la voir quand elle était en réanimation.

J'avais ma douleur mais ce n'était pas grave. Je voulais juste qu'elle s'en sorte, à tel point que j'ai fini par "croire". Croire qu'elle s'en tirerait, que ça irait... rester fort pour mon frère, se serrer les coudes.

J'ai vécu l'impuissance. Qu'est-ce que je pouvais bien faire... à l'époque je n'étais rien. Mon frère a toujours été moins débrouillard et plus dépendant.

J'ai fait des choses dérisoires. Lui apporter des fleurs, des livres, du parfum.. c'est pas grave si ensuite je ne pouvais pas bouffer !
"tu as faim... je le vois, tiens"... j'ai ce souvenir d'elle me tendant cette saloperie de bouffe de l’hôpital. 

Je ne sais pas comment elle l'avait remarqué... ça m'a touché en plein coeur. Une faille. Je me suis si souvent senti impuissant et moins que rien... sans pouvoir ou sans argent pour l'amener dans une clinique à la pointe des traitements mais j'ai toujours tenté de donner le change.

Elle est revenu à la maison un court laps de temps. La maison c'était pas reluisant. J'avais quand même retapissé pour qu'elle sente un peu de changement et de fraîcheur ! On avait les huissiers au cul... mais de toute façon, c'était pas si grave non ? ..ça irait mieux.
C'était pas bien grand et c'était vétuste. Je lui ai donné ma chambre et on a tenté de l'installer au mieux.

J'ai planté médecine, 11.5 et il fallait quelque chose comme 12 et des poussières... putain, j'en ai enragé. Je redouble pas, faut pas se leurrer... me payer les polycop' et compagnie de toute façon c'est compliqué. Je fais des jobs à la con en parallèle. Je suis livreur.

Je suis un livreur de merde. Je passe mon temps sur la route et je me suis réinscrit en fac. Une autre branche. J'ai plus le droit à l'erreur. Je roule dans une poubelle toute la journée mais je lui raconte que c'est le rêve et que je ferais une super carrière après mes études ;) Elle semble aller un peu mieux. Mon frère déprime et je fais ce que je peux.

Je crois que j'ai vécu un peu dans une bulle pendant ce moment là, j'ai cru que ça irait. Objectivement, en y repensant... elle avait subi des ablations dues aux métastases etc. Je planais.

C'était bon quand même ces petits moments, au bout de son lit... à discuter. Avec mon frère on jouait aux échecs au bout de son lit.
J'en ai fait des rêves par la suite, je la serrais dans mes bras dans cette pièce. Putain, c'était plus vrai que le réel. C'était chaud, ça me réchauffait... je voulais que ça ne finisse pas.

Financièrement c'était super critique. Mon petit job et tout le reste ça pesait pas bien lourd. Aller boire un verre & se changer les idées c'était du luxe.

Elle est morte quand j'ai eu 20 ans. Elle était en réa depuis quelques temps. Un simple coup de téléphone.
Il neigeait ce jour là, j'avais une bagnole pourrie et on a fait la route. Avec mon frère on a pas échangé un mot.

La maison, les meubles, que faire, les dettes, ce qu'on allait devenir... à quoi bon parler de toute façon.

On avait rien... on est sortis de là avec un sac poubelle contenant ses affaires sales. Un médecin est arrivé en sifflant... tout joyeux... discutant... on lui a indiqué notre présence au loin par un signe de main. Il est venu nous présenter ses condoléances... il est reparti.

On a fait comme on a pu pour l'enterrement. On a quasiment pas de famille... on s'est démerdé. J'ai pas eu l'argent pour faire graver son nom sur le caveau.

Mon frère est tombé en dépression latente... presque bipolaire je pense... moi j'étais juste KO debout. Je suis resté comme ça quelques mois. Le confort matériel, je sais même plus. On a juste "vécu".

C'est dégueulasse, c'est injuste, la vie est une pute et on y peut rien. C'est la rage qui m'a fait avancer.

Cette rage a été mon moteur et ce qui m'a sauvé. C'est la seule petite étincelle de vie qui m'a poussé à rester debout.
Je me suis déjà regardé dans la glace en pensant en finir parfois... tellement la pente était dure.

Je peux en parler maintenant car je suis "libre" de tout ça. On a mis des années à s'en remettre mais on s'en est tiré dans la fraternité, l'amour et toutes les choses positives en ce bas monde.

J'ai réglé tous les problèmes matériels, j'ai racheté la maison pour la faire raser et j'ai racheté dans la foulée un terrain surplombant pour y construire une maison de 300 m². On est à l'abris du besoin pour très longtemps. J'ai pris le problème à bras le corps & peux snober les "médecins sifflotants".

J'ai trouvé la paix grâce à l'amour des autres.  Dans chaque graine il y a la promesse d'une fleur... même si elle pousse sur un terrain pourri ou dans des conditions extrêmes.

Cette rage était en fait la volonté de "vivre un peu" pour elle. C'est la solution que j'ai adopté, la seule "logique" qui me convenait.
Vivez pour eux si vous le pouvez. Je sais que c'est de la merde à dire... que c'est facile à écrire ce genre de connerie.
Je sais trop bien ce que c'est que d'être au bord du gouffre ...mais ça a du sens quand même !!

Puis.... je ne voulais pas me faire engueuler une fois mort ;) quand on cueillera à nouveau les roses dans le jardin.
J'ai fais des choses biens, habité par son esprit. J'ai ri, j'ai partagé et j'ai aimé !

J'ai eu au final une rage... de vivre. J'espère de tout coeur que vous tous ici trouverez en vous un moteur.

Ça m'a fait du bien de vider mon sac..  :-\


kika

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Re : J'ai vécu de... rage.
« Réponse #1 le: 21 mai 2013 à 22:25:17 »

Merçi Max,


D'avoir vidé ton sac et ce faisant rempli nos coeurs

Oui la vie est une belle vacherie...oui la rage, ça je connais très bien, ça fait tenir, tenir avec une force incroyable
Mais c'est si bien de pouvoir la lacher un jour et ne garder que l'amour au coeur
L'amour pour ton frère, l'amour pour ta mère même si elle n'a pas toujours été a la hauteur. L'amour était là en dépit de la misère, de la maladie

Qu'elle a été dure ta vie, si jeune....tant de responsabilités sur tes épaules, ta mère..ton frère
Tu es véritablement un survivant
Il y a un proverbe arabe qui dit que c'est sur les tas de fumier que poussent les plus belles roses, c'est vrai
Continue a aimer de tout ton coeur, continue a te remplir de bonheur, tu l'as bien mérité

Et encore merci pour ton message si fort, si puissant, si plein d'espoir

Malika

MALAU

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Re : J'ai vécu de... rage.
« Réponse #2 le: 21 mai 2013 à 23:04:04 »
Max,

Ton récit est tout simplement ENOOOOOOOOOOOOOORME, digne d'un Grand Grand Monsieur, saches-le, !!!!! Max est le prénom du meilleur ami de mon fils......mon fils décédé à tout juste 20 ans d'un arret cardiaque, le 9 avril 2011. Je sais donc aujourd'hui, qu'il y a au moins 2 Max qui pour des raisons propres à chacun, ont cette rage au fond d'eux, cette rage qui leur donne une raison d'être encore, cette rage d'être ce qui sont......et deviendront......Encore plus Grand, encore plus fort !!!!!

Bien des choses à toi Max

Hors ligne Marina Saboya

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Re : J'ai vécu de... rage.
« Réponse #3 le: 22 mai 2013 à 10:28:43 »
Bonjour Max,

Quel magnifique message, si sincère, si honnête et ce petit Max, tout juste ado, perdu dans un monde insouciant et égoïste, ce petit Max a eu la force et le courage d'un grand homme.

Je suis très émue par ton récit. En quelques lignes, tu abordes tout, du plus pénible, du plus sordide, de la peine, la douleur, au plus beau, cet Amour maternel et ton Amour à toi. Tu peins ce monde injuste et froid et cette rage qui t'a construit aussi avec lucidité et nous terminons la lecture de ton message avec des étoiles dans les yeux!

C'est une merveilleuse leçon de courage, donnée avec humilité et générosité, c'est rare.

Infiniment merci Max, de nous avoir ainsi fait partager cette intimité de ton âme et de nous avoir boosté dans notre chagrin.

Marina
PiMa

Mieux vaut souffrir d'avoir aimé que de souffrir de n'avoir jamais aimé.

Hors ligne angelik

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Re : J'ai vécu de... rage.
« Réponse #4 le: 23 mai 2013 à 17:26:56 »
merci beaucoup Max
c'est aussi le prénom de mon fils aîné qui a également cette rage depuis que son petit frère a décidé de nous quitter sans prévenir il y a 2 ans maintenant... Il avait à peine 20 ans et comme dit aussi mon Max "la vie est dégueulasse, injuste..."
Ton histoire m'a bouleversée mais cela m'a rassuré un peu. Encore merci Max
Corinne
chaque fois que tu sentiras le vent sur ton visage, c'est moi qui vient t'embrasser...

LILI0824

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Re : J'ai vécu de... rage.
« Réponse #5 le: 27 mai 2013 à 20:43:26 »
Bonjour Max,

Ton récit me rappelle quelqu'un que j'aime tant qui a aussi grandi dans la rage. Il disait, c'est la colère et la rage qui me tenaient debout. Sa vie a été extrêmement difficile, dès sa naissance, et jusqu'à ce qu'il puisse se débrouiller tout seul. Et sa rage et sa colère se sont transformé en une volonté de fer qui lui a permis d'accomplir plein de choses et il n'a pas oublié d'aimer.

De te lire, et de sentir à travers chaque mot ta volonté d'avancer, et l'amour que tu portes en toi, c'est tout simplement  une leçon de vie que tu nous donnes.

L'adolescent, (le jeune homme) que tu nous a présenté est très attachant, et je te souhaite de tout mon coeur beaucoup de bonheur Max.








petitefée

  • Invité
Re : J'ai vécu de... rage.
« Réponse #6 le: 28 mai 2013 à 19:55:32 »
merci Max, avec un grand M

franchement écris, c'est trop beau, trop "brut de pomme".
je retrouve mon fils de 25 ans qui a la hargne et la rage.....de vivre après le dc de sa petite soeur.
t'es un mec bien. :-*

Karine

  • Invité
Re : J'ai vécu de... rage.
« Réponse #7 le: 29 mai 2013 à 23:41:55 »
Max,
Tu es juste tout simplement "fort". Et je suis très émue pour toi : que tu ai eu à traverser cette peine, cette perte, si jeune !
Ce que tu as traversé est horrible et tu ne peux pas surmonter cela seul.
Je n'ai pas de mots, mais si tu veux me parler, n'hésites pas.
Karine