Bonjour,
J'ai perdu mon papa le 19 juin 2003. Cela fera 10 ans dans un mois et demi.
J'avais 15 ans quand il a eu cet accident (il s'est retournée avec un petit tracteur en fauchant l'herbe dans le jardin). J'ai deux soeurs, qui avaient 11 et 17 ans. Ma maman était avec mon papa depuis ses 16 ans, je vous laisse imaginer a quel point elle a perdu pied.
Le soir où il est mort, j'ai promis d'être forte et de prendre soin de mes soeurs et de ma mère.
Pendant des mois, j'ai fait face. La douleur était facile à étouffer : il me suffisait de me dire qu'il allait revenir. Je savais qu'il était mort mais c'était trop impossible pour que je l'accepte. J'ai commencé à tout faire du mieux que je pouvais : si j'étais parfaite, il n'aurait pas le choix, il reviendrait (c'est difficile à expliquer, ça semble absurde).
3 ans après sa mort, j'ai craqué. J'ai réalisé que je n'arrivais pas à être parfaite, que comme tout le monde je faisais des erreurs. Il ne pourrait donc pas revenir. J'ai sombré dans une dépression très profonde : du jour au lendemain j'ai été plongée dans le noir. Plus de souvenirs autres que l'accident, aucune conscience de l'avenir (je n'avais même pas idée qu'il pouvait y avoir qqch dans l'heure qui suivait). La seule chose qui existait c'était le présent : la douleur. De cette période je n'ai que peu de souvenirs. J'étais en terminale, à l'internat de mon lycée. Ma prof principale m'a aidée. Elle a contacté mon médecin, elle a essayé de me trouver un psychologue ou un psychiatre.
J'avais consulté une psychologue en thérapie de groupe avec ma famille, juste après l'accident. Puis c'est ma petite soeur qui est allée consulter régulièrement (la psy ne pouvait pas nous traiter toutes). On habitait à la campagne, c'était la seule psy, elle consultait déjà à 30min de la maison. Donc ma mère, ma grande soeur et moi avons du nous débrouiller.
Lors de ma dépression à nouveau, tous les psychologues et psychiatres sollicités m'ont refoulée. La seule solution trouvée a été le centre d'écoute pour adolescents de la grande ville "voisine" (45min de route depuis l'internat). J'y suis allée 2 ou 3 fois.
Mon médecin a fini par me prescrire des anti-dépresseurs, qui m'ont permis de sortir la tête de l'eau et de redormir. Avant les anti-dépresseurs, je refusais le sommeil car dès lors que je fermais les yeux, je revoyais des images de la soirée de l'accident.
Ces images me hantent toujours. Alors que j'ai une excellente mémoire des événements (j'ai des films en technicolor qui datent de la maternelle dans ma tête), pour cette soirée là c'est haché, les sons, les odeurs, les images ne correspondent pas, la chronologie n'est pas bonne. La seule chose qui soit nette, c'est le moment où j'ai annoncé à ma petite soeur que notre papa était sans doute mort. C'est le pire souvenir de ma vie, je crois que rien ne pourra jamais être aussi douloureux : j'ai brisé ma soeur (même si je ne crois pas me sentir coupable : quelqu'un devait lui dire, ça a été moi). Ces secondes là, je me souviens de tout : la chaleur, les odeurs d'herbe, de métal chaud, de cerises, de sueur, les bruits, le cri rauque de ma soeur, les sanglots de ma mère, la sirène du SMUR au loin, le poids de ma soeur quand elle s'effondre, la couleur du ciel, l'herbe sous mon pied droit parce que j'avais perdu ma chaussure en allant chercher de l'aide... Quelque part, je me dis que si je me souviens mal du reste, c'est sûrement parce que m'en souvenir avec autant de précision que ces quelques secondes là, ça me serait insupportable. Malgré tout, cela fait 10 ans que j'essaie de résoudre ce puzzle. Sans succès.
Je ne pense pas être toujours dépressive. Je connais bien cette maladie et je pense m'en être sortie il y a 2-3 ans. Cette hiver j'ai fait de la luminothérapie et j'ai évité la dépression saisonnière pour la première fois
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Il y a 3 ans, j'ai repris l'athlétisme : le sport que je pratiquais avec lui et que j'avais arrêté après son décès (il m'entraînait). Le premier entraineur avec lequel j'ai repris était super jeune et très dynamique, il me faisait essayer de nouvelles disciplines : bref, c'était très différent de ce que je faisais avec mon père donc dès la 2 ou 3ème séance, j'ai commencé à me sentir à l'aise (au départ, j'entendais les foulées de mon père derrière moi, je le voyais au loin sur le stade...). ça m'a vraiment aidée à reprendre goût à la vie. Puis j'ai eu un second entraineur, plus âgé, avec lequel je m'entendais bien mais sans tisser de réel lien affectif. Là j'ai un nouvel entraîneur depuis septembre. C'est totalement différent. Je suis investie à 100% dans mon sport et je m'éclate. Je n'avais pas été aussi heureuse en 10 ans et je retrouve le plaisir que j'avais à courir avec mon papa.
Cette nouvelle relation me déstabilise un peu je crois : j'ai pris l'habitude ces 10 dernières années de contrôler au maximum tous les aspects de ma vie. ça me rassure. Là, je dois le laisser prendre des décisions pour moi. Je lui fais confiance, mais ça me change (je suis sûre que ça ne me fait pas de mal, cet hiver, je me suis même surprise à trouver agréable de pouvoir se reposer sur quelqu'un. Je ne m'autorise ça avec personne d'autre).
Cet hiver, lors d'une séance où j'étais seule avec lui, on papotait et j'ai évoqué le fait que mon papa avait été mon premier entraîneur. J'ai dû utiliser le passé. Et il m'a dit : "moi aussi j'ai perdu mon papa. Tu avais quel âge ?" Je lui ai dit "15 ans". et il m'a dit "moi à 14 ans". Il m'a demandé si c'était un accident de voiture. Alors je lui ait expliqué en quelques mots. Et là j'ai commencé à perdre le contrôle (je me suis sentie pâlir et avoir les prémices de la crise d'angoisse). Il me connaît plutôt bien donc il a dû le voir. Il m'a laissé le temps de me ressaisir et on est passé à l'exercice suivant. Cela faisait très longtemps que parler de mon père m'avait déstabilisée. D'habitude, ça ne me pose pas de problème (même si ce n'est pas mon sujet de conversation préféré).
Depuis, on n'en pas pas reparlé. On s'entend toujours aussi bien et on a une superbe relation entraîneur/athlète.
Est-ce que c'est l'approche du mois de juin, toujours un peu difficile (les chaudes soirées d'été ne sont pas ma tasse de thé) ? Est-ce que c'est cette nouvelle relation qui est pourtant très différente d'une relation père/fille (ce type de relation est vraiment spécifique) ? Est-ce que c'est de la fatigue (je m'apprête à passer un concours que je prépare depuis 2 ans) ? Est-ce que c'est le fait que ma petite soeur soit partie 6 mois en Australie (elle est ce que j'ai de plus cher et elle ressemble beaucoup à mon père, mais on se téléphone par internet presque toutes les semaines) ? Le fait est que j'ai à nouveau du mal à faire taire cette douleur. Je me suis remise à pleurer trop souvent à mon goût.
Quand je lis les autres pages du forum, je suis désemparée : je croyais avoir fait le deuil de mon père, je constate que j'en suis très loin. J'ai tout juste accepté sa mort. Je refoule toujours la douleur. Et parfois, je le vois toujours dans une foule, au coin d'une rue...
En fait j'ai juste accepté de vivre comme ça, avec cette douleur au quotidien.
Quand je pense à lui, c'est à ce qui me manque que je pense : sa barbe qui pique mon front quand il m'embrasse le matin, ma main dans la sienne, le son de sa voix, le bruit de ses pas, la force de ses bras, son humour, sa sagesse...
Alors voilà, on m'avait dit qu'avec le temps ça passe. Mais 10 ans plus tard, j'ai toujours très mal. je me doute que lire ça, fera peut-être peur à ceux qui espèrent voir cette douleur s'atténuer. j'en suis désolée et je tiens à leur dire que je ne pense pas que c'est normal : ma mère et mes soeurs sont dans une autre dynamique que moi. J'ai dû louper une bifurcation, je ne suis juste pas sûre d'avoir le courage de retourner en arrière... Je ne sais pas vraiment ce que j'attends en écrivant ici, mais ça me fait déjà du bien.