Christian,
10 jours "avant", j'ai "croisé" son médecin par hasard, qui m'a dit : Ah, vous tombez bien (!!!), je voulais vous voir.
Dans son petit bureau, lui, coté "médical", blouse blanche et lunettes, moi coté "patient", les mains sur mes genoux et le dos raide.
Bon (!!!), a-t'il dit, le foie a lâché, plus de rein, plus de foie, il faut simplement espérer que "cela" arrive vite, pour lui et pour vous.
"Cela", c'est la mort de mon mari!
Oui, une bombe qui explose, le sol qui se dérobe, le ciel qui nous tombe dessus ... et ce petit médecin en face qui essuie ses verres de lunette pour ne pas avoir à me regarder m'emietter, me casser, me briser. Ouf, il soupire, je n'ai pas hurlé, je ne me suis pas évanouie, il me raccompagne d'un seul pas jusqu'à sa porte.
Pour lui, voilà, ça, c'est fait.
Pour nous, cela commence.
Mon mari qui m'attend dans sa chambre au bout du couloir, qui va me demander si j'ai vu le médecin, ce qu'il m'a dit...
Au fond de moi, je savais depuis longtemps. Peut-être même depuis l'annonce du diagnostic, mais j'ai rejeté, enfoui, écrasé, laminé cette idée. La force de notre Amour, de ma volonté, de son courage allait vaincre la maladie.
Dans ce petit bureau, dans l'urgence de rejoindre la chambre des douleurs, c'est une autre volonté qui a pris le dessus, celle de mentir à Pierre et de l'accompagner au bout du bout avec tout ce que je pouvais lui donner, de tendresse, de douceur, de soins, de présence, d'attention, d'Amour bien sûr, sans faillir.
Comme vous tous, j'ai tenu.
J'étais tellement sûre que son dernier souffle posé sur le drap blanc et anonyme de l'hôpital, je m'allongerai à coté de lui et cesserai aussi de respirer, j'en étais tellement sûr !
Quelle atroce déception, mon corps que je maltraitais pourtant depuis longtemps, tenait le coup, resistait à la suplique de mon cerveau, mon coeur pourtant tellement écrasé de douleur, continuait de battre, le s... !
Programmé pour survivre, pour respirer malgré le poids démesuré de la souffrance, malgré les yeux aveugles, gonflé de tant de larmes, malgré l'épuisement de tant de questions, de tant de solitude... Ce corps que l'on supplie de lâcher, d'abandonner, au contraire se met en position de résistance, pour nous "aider" à tenir, un jour, deux jours, un mois... Programmé pour survivre.
Impensable Christian d'imaginer un avenir pour toi, apaisé et presque serein. Impensable.
J'avais envie de leur dire, à ceux qui m'en faisaientt la promesse : Pas moi, vous ne pouvez pas savoir, moi, jamais, je ne pourrais pas accepter la vie sans lui!
Et bien si.
Même à ne rien faire, que regarder les jours passer, le deuil s'accomplit, imperceptiblement, par vagues, colère, épuisement, nuits blanches, nuits noires, abandon, et reprise du combat... C'est un combat, toi, dans ton monde de souffrance et d'obscurité, contre la vie car tu n'en a pas envie de cette vie que l'on t'impose. Et puis, elle prend le dessus, petit à petit, jamais complètement KO, malgré ton refus. La vie reprend.
Un jour, un jour tu admets qu'elle est la plus forte. Ce n'est pas un renoncement à cet Amour qui t'unit à jamais à AM, c'est cet Amour, intact, mais avec une perception différente, qui accepte l'absence, mais sublime l'Amour au fond de toi.
Elle a changé, la vie, elle n'est plus insouciance, avenir, joie, elle est calme et réfléchie et c'est déjà une victoire.
Demain est un autre jour...
J'en suis là, et je te donne rendez vous dans quelques mois, si tu es d'accord, pour en reparler.
Marina